Le fonds taurin des Bibliothèques de Nîmes: interview

Bonjour Didier, peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Didier Travier. Je suis le conservateur responsable des fonds patrimoniaux de la bibliothèque de Nîmes.

Comment est née l’idée de constituer ce fonds taurin ?

L’origine du fonds taurin remonte à 1955, date d’acquisition par la Ville de la bibliothèque d’André Castel (1902-1987). Castel, qui dirigeait le laboratoire municipal d’œnologie, était un grand aficionado et, sous le pseudonyme de Don Valentín, un revistero reconnu pour Le petit méridional et pour Biou y toros, revue, notons-le, créée et longtemps dirigée par une femme, Marcelle Cantier alias Miqueleta. En 1955, Castel part habiter en Espagne, près de Tarragone. C’est à cette occasion qu’il vend sa bibliothèque.

Le fonds s’est ensuite enrichi par des achats et des dons. On peut citer par exemple, en 1983, la donation par sa veuve de la bibliothèque de Georges Reboul, avocat et chroniqueur taurin pour le Petit Provençal, puis à la Libération, Le provençal.

De combien de volumes ce fonds dispose-t-il ?


Il y a environ 4600 documents en réserve précieuse auxquel il faut ajouter plusieurs périodiques stockés dans un autre espace. Les ouvrages les plus anciens, spécifiquement taurins, remontent au 18e siècle. On peut citer la Carta historica sobre el origen y progresos de las fiestas de toros en Espana du poète Nicolás Fernández de Moratín, publiée en 1777. Moratin y soutient l’idée, aujourd’hui communément admise, de l’indépendance des courses de taureaux avec les jeux romains. Il souligne par ailleurs fortement l’apport des Maures.

On peut signaler aussi, parmi les ouvrages les plus anciens, la Tauromaquia o arte de torear a caballo y a pie. Ce livre, dont la première édition, très  recherchée, a été publiée à Cadix en 1796 – nous n’avons que la 2e édition de Madrid datée de 1804 -  est considéré comme le premier traité de tauromachie moderne. Il existait, depuis la fin du 16e siècle, des traités sur la tauromachie aristocratique, à cheval. Mais il s’agit ici de la corrida sous la forme que nous lui connaissons. Ce traité est placé sous l’autorité du grand torero Pepe Illo, mort en 1801 à Madrid, encorné par le taureau Barbudo. Cet événement tragique a été représenté par Goya dans plusieurs des eaux fortes de sa célèbre Tauromaquia, dont nous conservons un tirage…

La plus grande partie du fonds est cependant composée d’ouvrages modernes. Nous achetons régulièrement ce qui parait en français dans le domaine.
 

Qu’allons-nous pouvoir retrouver dans ce fonds ?

C’est un fonds qui aborde la tauromachie dans toutes ses dimensions : historique, culturelle, artistique, littéraire, technique. Les diverses tauromachies y sont représentées, la corrida espagnole et portugaise bien sûr, mais aussi, particulièrement importante chez nous, la course camarguaise. S’agissant de la nature des documents, on y trouve des livres bien sûr, mais aussi beaucoup de revues en français et en espagnol, de l’iconographie. La dimension locale est évidemment bien représentée. On peut documenter les grandes étapes de la tauromachie nîmoise : la ferrade de 1852 donnée en l’honneur de Napoléon III, la corrida de 1863 qui introduit véritablement la corrida espagnole à Nîmes, la fameuse corrida de la protestation, en octobre 1894, en présence de Frédéric Mistral… Et bien sûr les ferias !




La richesse de ce fond se caractérise aussi par la diversité d’éléments plus originaux qui le composent, peux-tu rassasier notre curiosité ?

Un des points d’intérêt de la collection, ce sont les livres d’artistes. La corrida a inspiré, on le sait, de grands peintres : Goya, Gustave Doré, André Masson, Picasso, Claude Viallat et ses très beaux dessins tauromachiques. Les artistes ce sont aussi les photographes. On pense en particulier à Lucien Clergues.

Nous conservons aussi pas mal d’affiches. D’abord celles de la feria de Nîmes pour lesquelles on retrouve le lien avec l’art, puisque depuis plus de 30 ans, la Ville confie la conception de l’affiche de la feria à un artiste contemporain – le premier fut Eduardo Arroyo en 1984. Mais aussi quelques-unes beaucoup plus anciennes. Et puis, il y a de petites curiosités, comme des billets de corrida ou un flipper taurin de fabrication américaine !

Sommes-nous les seuls à disposer d’un tel fonds ?


Il y a deux fonds importants en France, celui de Nîmes et celui de Toulouse. Celui de Toulouse est plus récent. Il remonte à l’acquisition en 1974 de la bibliothèque d’Auguste Lafront (1906-2002), alias Paco Tolosa. Ce dernier était notamment le chroniqueur taurin de L’Equipe, jusqu’à ce que la rubrique taurine soit supprimée du journal, en 1968, pour faire de la place pour la publicité ! Paco Tolosa a aussi donné à Nîmes. Cette rareté fait de Nîmes un centre de ressources de premier plan.


Cette collection se conjugue à notre identité culturelle nîmoise. Elle fait aussi la démonstration d’une orientation assez originale au regard des autres fonds de bibliothèques en France… Comment fais-tu vivre cette collection ?

Indépendamment de leur communication aux chercheurs, ces fonds alimentent régulièrement des expositions. Au plan local nous travaillons en étroite collaboration avec le musée taurin. Ainsi nos efforts conjugués ont permis en 2013 l’acquisition par la Ville de l’importante bibliothèque taurine de Pierre Dupuy, ancien directeur de la revue Toros. Celle-ci est physiquement conservée au musée mais décrite dans notre base bibliographique y compris la correspondance et les papiers qui sont signalés dans notre catalogue des manuscrits. Un autre exemple est le prêt de documents entre nos deux services. Ce sera le cas pour l’expo qui va débuter au musée taurin sur Goya.


Est-ce que nos usagers peuvent consulter ces fonds ?

Bien entendu ! Comme tous les fonds patrimoniaux, en consultation sur place et sur présentation d’un document d’identité. Ceux qui viennent sont des passionnés. La presse notamment est consultée, car nous en avons peu numérisé pour des questions de droits. Seul Le Midi taurin est disponible en ligne de 1913 à 1935. Certains usagers enrichissent le fonds. Je pense à un monsieur qui nous communique le fruit de ses recherches actuelles sur la manade du Languedoc.




Sur quelle base est financé le travail de valorisation autour de cette collection ?

Le fonds taurin ne bénéficie pas d’un financement spécifique. Il émarge sur le budget général du patrimoine de la bibliothèque, ce qui permet de suivre les acquisitions courantes et d’acquérir quelques pièces exceptionnelles, comme en 2017 une série de lithographies taurines de Gustave Doré et deux albums illustrés par le peintre espagnol Daniel Perea y Rojas (1834-1909) pour un total de 6000 €. L’année dernière, nous avons acheté des chroniques taurines de Robert Marteau, publiées aux éditions FMA, avec des illustrations de trois artistes, Bertrand Alligand, Julius Baltazar et Gérard Eppelé, pour un montant de 3000 €. Ces acquisitions peuvent bénéficier du soutien financier du Fonds régional d’acquisition pour les bibliothèques alimenté à part égale par le Ministère de la culture et la région Occitanie.

Nous avons parlé plus haut d’exception culturelle nîmoise… Il s’agit bien d’un fonds culturel. Aussi on y trouve donc bien sur des ouvrages qui dénoncent la corrida ?

En effet ! Les « contre » n’y ont pas moins droit de cité que les « pour ». Au plan local, on trouve une lettre pastorale de l’évêque de Nîmes, Mgr Plantier, contre les courses de taureaux datée de 1863 et, en 1895, une brochure du pasteur Louis Trial qui va dans le même sens ! Le débat est d’ailleurs lui-même très ancien et fait partie de l’histoire de la tauromachie. On a un ouvrage datant de 1835 qui s’intitule La tertulia, ó El pro y el contra de las fiestas de toros. La première partie est une apologie de la corrida, la seconde est un réquisitoire contre elle. A chacun de choisir !





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