John CARPENTER : Invasion Los Angeles - 3/4

Nous continuons notre série de billets sur le réalisateur John CARPENTER, qui vient de recevoir au cours du festival de Cannes 2019 le Carrosse d'or rendant hommage à l'ensemble de son oeuvre. Aujourd'hui au menu : Invasion Los Angeles. ATTENTION : port des lunettes noires obligatoires - vous comprendrez bientôt pourquoi!




John nada


1988. Un an après le grandiose Prince des Ténèbres qui l'a remis en selle, John CARPENTER remet le couvert pour un nouveau film de science-fiction à petit budget.


1988, c'est aussi le moment de faire le bilan des deux mandats de Ronald REAGAN. Et la vision qu’en a le réalisateur montre assez à quel point il n’a rien d’un thuriféraire de Friedrich HAYEK ou d’Ayn RAND !! Preuve en est faite par l’entremise du héros du film, le bien nommé John NADA, dont on ne prononce d’ailleurs jamais le nom, connu du spectateur par la grâce du seul générique. On l’aperçoit dès les premières images, solide carcasse un peu voûtée, portant sur son dos quelques affaires, ses seules possessions.


John NADA est un ouvrier itinérant, qui circule de ville en ville pour chercher du travail. Coup de chance : il finit par trouver un job pénible et sous-payé sur un chantier qui lui octroie le privilège de s’installer dans le bidonville le plus proche. John NADA ne se plaint pas : il croit en son pays et demeure persuadé qu’aux Etats-Unis, à force de travail et de volonté, chacun peut se construire une place au soleil. Un incurable optimiste donc ! Mais ça, c’était avant qu’il ne trouve une paire de lunettes noires.


Le pire des mondes


Un peu par hasard, John NADA finit en effet par se rendre possesseur d’une étrange paire de lunettes de soleil. Apparemment rien ne permet de distinguer ces lunettes de milliers d’autres paires. A un petit détail près toutefois : elles permettent de voir le monde tel qu’il est réellement ! Et cette vision s’éloigne notablement de celui que nous croyons connaître. Imaginez plutôt ! En lieu et place de l’article que vous imaginiez lire, ou de l’émission TV que vous croyiez regarder, apparaissent des messages comminatoires : « Obéissez ! » - « Consommez !» - « Procréez ! » et ainsi de suite.

Déjà assez flippante comme ça, cette vision s’accompagne d’une découverte plus qu’horrible : certains humains sont en fait des extra-terrestres, aisément reconnaissables à leur visage d’écorché vif, à condition de pouvoir les repérer grâce aux fameuses lunettes noires !! Outré par ce qu’il juge (à juste titre !) comme une invasion indue par une force étrangère, ainsi qu’une remise en cause de ses droits constitutionnels, John NADA décide en bon Américain de prendre les choses en main et de prendre par la même occasion un fusil à pompe…avec lequel il entreprend de dégommer méthodiquement les extra-terrestres !



 Un doigt d’honneur


Avant toute chose, Invasion Los Angeles est un film hilarant. Contrairement à d’autres réalisations de John CARPENTER, il n’est pas ouvertement comique (à l’inverse d’un Jack Burton dans les griffes du mandarin, par exemple, qui lui était vraiment agité du chapeau), néanmoins tout en lui respire l’absurde, le nonsense, le décalé. L’inspiration des EC Comics des années 50 et d’un certain cinéma paranoïaque de cette même décennie est assez évidente. Il y a quelque chose de profondément second degré dans la quête délirante de John NADA. Un exemple parmi cent : à un moment donné, le héros, qui s’est plongé dans une mouise noire ébène, cherche à mettre un compère dans la confidence. Moment crucial du film : quelqu’un va-t-il enfin le croire ? La scène dramatique se transforme en pochade complète lorsque le héros se retrouve obligé de forcer son ami à chausser les fameuses lunettes noires…donnant lieu à une hallucinante scène de 7 minutes montre en main de catch sur le béton, le temps que John NADA estourbisse son adversaire et lui mette d’autorité la paire de lunettes sur les yeux !!


Mais derrière l’humour affleure une critique politique d’une grande rudesse. Malgré les protestations réitérées de John CARPENTER  sur ses intentions profondes (« Mais si je vous jure, je suis un bon Américain capitaliste qui aime l’argent ! »), il est clair que son film est une violente charge contre les excès du reaganisme - ce qu’il n’a en revanche jamais nié. La métaphore des yuppies extraterrestres se rendant maîtres de la Terre est à cet égard on ne peut plus limpide ! Il en est de même de l’attitude proprement collaborationniste des élites, qui contraste avec celle des résistants, agrégat de cols bleus, d’intellectuels et de membres de la classe moyenne. Les dernières images du film, dans lesquelles John NADA présente un doigt d’honneur viril à ses adversaires, résume assez bien l’essence du film.


Invasion Los Angeles, ou l’art de balancer un brûlot politique sous couvert de SF rigolote…
 
Bruno B. Bibliothécaire


1 commentaire:

  1. Je me souviens avoir vu ce film sur RTL9 à une époque où cette ancienne grande chaîne du câble, nous ravissait à diffuser les pépites de John Carpenter ou de Wes Craven, entrecoupant ces œuvres d'art un rien désuètes par des savoureuses publicités à petits budgets.

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