Hard candy, de David SLADE

A une époque où la provocation permanente et gratuite est considérée comme l'un des Beaux-Arts, trouver un film vraiment dérangeant relève de la gageure. Et s'il est en plus étincelant d'intelligence et de maîtrise, on ne peut qu'applaudir! Coup de chance, tel est le cas de Hard Candy, de David SLADE.




Le petit chaperon rouge se fait draguer

 

Au commencement était le tchat.
On n'aperçoit tout d'abord qu'un écran d'ordinateur sur lequel s'affiche un dialogue entre ce qui s'avèrera être un trentenaire portant beau et une pétillante adolescente de 14 ans.
Très vite le malaise s'installe, alors que l'adulte drague de manière évidente la gamine, avant de lui proposer un rendez-vous en live.
On s'attend au pire. On a raison, bien sûr, mais le pire que nous verrons se déployer progressivement pendant 1h30 sera bien différent de ce que l'on pouvait escompter...

Hard Candy est un film s'attaquant à un genre bien particulier qui ne supporte aucune approximation : le tête à tête en huis clos. Il a donné lieu à quelques chefs-d'oeuvres immortels, à la tête desquels je mettrais volontiers Le Limier, de Joseph MANKIEWICZ. Sans atteindre de tels sommets, Hard Candy n'en demeure pas moins un excellent film, récompensé à juste titre à Deauville et à Sitgès.

Loin, très loin de l'armada pyrotechnique dans laquelle Hollywood s'épuise trop souvent, nous avons droit à l'archétype du très bon petit film : une histoire prenante s'inspirant lointainement du conte du petit chaperon rouge, une réalisation compétente tirant le meilleur parti d'un budget anémique, un cadre a priori banal (une maison de la grande banlieue américaine), deux acteurs magistraux (Patrick WILSON et Ellen PAGE) et surtout une atmosphère de dinguerie à froid qui en fait un vrai film extra-terrestre.


Le petit chaperon rouge se déchaîne

 

Autant le dire de suite : si Hayley, la fraîche adolescente au blouson à capuche rouge, se rend dans la tanière de Jeff le loup en maraude, la ressemblance avec le conte s'arrête là!
Et le malheureux Jeff  de se retrouver dans une situation parfaitement catastrophique, à se demander s'il n'aurait pas mieux fait de se trouver un autre passe-temps moins dangereux ce jour-là que draguer une petite minette pré-pubère – par exemple se promener en plein Harlem avec un panonceau clamant « Je hais les nègres », mais Jeff n'est certes pas John McClane, et connaîtra « une journée en enfer » encore pire que lui!

L'expression « duel psychologique » semble avoir été inventée pour ce film, tant toute sa matière est tendue autour du rapport de forces mental entre deux protagonistes, dont les forces et les faiblesses ne sont pas du tout celles auxquelles on se serait attendu.
Contemporain de Saw, qui fut l'un des chefs de file du courant dit « torture porn », et avec lequel il partage un point de départ passablement similaire, Hard Candy prend une direction tout à fait différente.

Pas de violence graphique putassièrement justifiée par un argument moral bancal, mais au contraire une violence psychologique qui justifie une interdiction aux moins de 16 ans (rare en France, plutôt libérale sur ce plan-là).
Là où certains films commerciaux ras de bitume s'efforcent d'apporter une satisfaction morale frelatée afin de ne pas trop choquer le spectateur-payeur, Hard Candy a le courage d'aborder avec une très grande honnêteté intellectuelle la question ô combien sensible de la pédophilie, et de surcroît de ne pas proposer une réponse simpliste à un problème qui ne l'est pas.


Le petit chaperon rouge vous fait réfléchir (après vous avoir latté la tronche au passage)

 

D'autant qu'il devient vite évident que la pédophilie en tant que telle n'est pas vraiment au coeur même du film. Le sujet réel serait plutôt : qu'est-ce que le Mal?
Vaste sujet, mais que l'on peut aborder de bien des manières. Jeff et Hayley ne sortiront pas indemnes de leur rencontre, car le Mal qui est en chacun d'eux se déchaînera de manière atroce, chacun attisant en l'autre ce qu'il a de pire.

Et, traînées dans le sillage du Mal, sont posées toutes les questions que se pose l'humanité depuis qu'elle est sortie du limon originel : suis-je quelqu'un de bon ou de mauvais? Suis-je coupable du mal que j'inflige? Dois-je assumer ce que j'ai de pire en moi pour être vraiment moi? Ai-je le droit moral de transgresser les lois humaines afin de lutter contre le Mal?

Toutes ces questions, et d'autres encore, vous trotteront dans la tête bien longtemps après que vous ayez achevé la vision du film. Comme toutes les grandes oeuvres il met à l'épreuve vos cadres mentaux, vos convictions et vos certitudes, vous met en bref, comme le dit l'expression à la mode, « hors de votre zone de confort ».
Et il rappelle aussi une réalité brutale, que l'on s'efforce d'oublier en s'étourdissant de bruit, de compagnie, au travail, chez soi, chez les voisins, avec les amis : au bout du compte, chacun est seul au monde, et devra se débrouiller seul dans un monde qu'il ne comprendra pas et qui ne le comprendra pas. Assumer ce triste postulat de la condition humaine est, par un extraordinaire paradoxe, la seule voie dont nous disposions pour nous affranchir, un peu, de temps en temps, de cette fatalité.

La route est vite désolée
Pour qui flâne seul en son enfer

Mervyn PEAKE


Bruno B. , bibliothécaire

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