Trois films de la Shaw Brothers
Très peu connu en Occident, le studio hongkongais Shaw Brothers connut pourtant une popularité jamais démentie durant les années 60 et 70, inondant l’Asie entière de films d’arts martiaux dont certains demeurent à ce jour des références incontournables. C’est une sélection de trois de ces chefs-d’œuvre, tous accessibles via notre plateforme en ligne C@roline, que nous vous proposons aujourd’hui.
Fondée en 1958, la Shaw Brothers produisit en Asie un millier de films, dont un bon quart consacré aux arts martiaux. Ces films de cape et d’épée chinois connurent dès la fin des années 60 une extraordinaire popularité à travers le continent asiatique, et aujourd’hui encore la Shaw Brothers est associée au genre kung-fu dans la mémoire collective.
La plupart de ces films de kung-fu se basaient sur des recettes simples mais efficaces : des intrigues lisibles reposant sur des valeurs confucéennes et bouddhistes familières à la plupart de spectateurs asiatiques, des acteurs jeunes et charismatiques (Jimmy WANG YU, David CHIANG, Ti LUNG, Cheng PEI-PEI, Gordon LIU), des réalisateurs talentueux (Chang CHEH et Lui CHIA-LIANG en tête), et surtout, surtout…des combats hallucinants dont les chorégraphies furent inégalées et inégalables jusqu’aux années 90. Un véritable festival visuel, provoquant le plus souvent, y compris chez le spectateur adulte, responsable et blasé un « whaaaaaaaaa !! » jubilatoire digne d’un gamin de 10 ans aux yeux écarquillés d’admiration.
Voici donc sans plus attendre, présentés par ordre chronologique, trois de ces petits bijoux :
Un titre français carrément martial pour un film qui confirma le virage « arts martiaux » du studio Shaw Brothers à la fin des années 60 et dont le succès phénoménal imposa pour de bon son réalisateur fétiche, Chang CHEH.
Une fois n’est pas coutume, si le film s’impose par une photographie élégante et des scènes martiales réjouissantes, c’est bien la sensibilité de son intrigue qui frappe. Le cœur de l’histoire n’est pourtant pas spécialement original : comment un guerrier mutilé, ayant perdu son bras d’épée, parvient, non seulement à surmonter un handicap a priori rédhibitoire, mais même à en tirer parti pour devenir un homme meilleur.
Mais Chang CHEH et son interprète Jimmy WANG YU parviennent avec maestria à faire ressentir l’évolution psychologique d’un jeune guerrier à qui tout souriait et qui doit apprendre à vivre avec une grave mutilation. Introspection qui l’oblige à interroger les valeurs martiales qui furent toute sa vie les siennes, à comprendre pourquoi et pour qui il doit se battre, plutôt que comment. Tout le film tourne autour de la violence, de la nécessité d’y recourir parfois, mais aussi de la spirale de vengeance qu’elle entraîne inéluctablement.
C’est ainsi que le héros, ayant retrouvé et même dépassé ses aptitudes martiales originelles, choisit de se détourner de la violence et de vivre une existence paisible avec celle qui a su lui redonner courage, rompant avec le destin que son environnement avait fixé pour lui de toute éternité.
Mais je vous rassure : comme on est tout de même dans un film de kung-fu, il aura entre-temps transformé en chair à pâté le Grand Méchant et ses abominables séides. La non-violence c’est bien, mais il ne faut pas en abuser non plus, surtout dans le cinéma de Hong Kong !!
Si la non-violence vous inquiète, rassurez-vous…« La rage du tigre » vous la fera définitivement oublier ! Au début des années 70, le succès exponentiel d’ « Un seul bras les tua tous » poussa les frères Shaw et le réalisateur Chang CHEH à remettre le couvert en en réalisant le remake.
Enfin, remake…disons que l’idée de base est la même : un jeune guerrier obligé de renoncer aux arts martiaux suite à la perte de son bras droit, et reprenant du service afin de pourfendre de vils criminels. La ressemblance s’arrête là. L’acteur n’est plus le même : le brillant David CHIANG prête sa fragilité trompeuse à un film dont le contenu éthique et moral de l’original est totalement évacué, pour ne plus en retenir qu’une violence folle et incontrôlable.
De la même manière que tout le déroulement de la « Horde sauvage », de Sam PECKINPAH, tendait vers le massacre final, tout dans « La rage du tigre » converge vers un des climax les plus frappés de toute l’histoire du cinéma. Je parle de la fameuse scène du pont, dans laquelle le héros, transformé en un véritable ange exterminateur tout de blanc vêtu (couleur de la mort en Chine) taille en pièces une armée de brigands, aussi impuissants face à son sabre que s’ils étaient de petits enfants sans défense.
D’une brutalité insensée pour l’époque, à la limite de l’abstraction, « La rage du tigre » est, avec « Vengeance », le meilleur film de Chang CHEH, dans lequel il peut faire montre de sa virtuosité, de son ambiguïté morale et de tout son sens de la démesure.
Devant tant de violence, besoin se fait parfois ressentir de chercher refuge dans la religion. C’est en somme ce que fait le héros (Gordon LIU, absolument impérial) : obligé de fuir les occupants mandchous qu’il combat, un jeune patriote se réfugie dans le monastère Shaolin, réputé pour la qualité de son enseignement des arts martiaux.
Débute alors un véritable parcours initiatique. Si la progression du héros est un thème récurrent dans le cinéma d’arts martiaux, cette fois-ci elle est au cœur même du propos. De jeune étudiant idéaliste et revanchard, Lui YU-TE va se muer au fil des ans en digne moine-guerrier, sage et sûr de lui.
Le plus clair du film retrace l’évolution physique et mentale d’un parcours dans lequel l’entraînement martial s’accompagne nécessairement de l’apprentissage d’une philosophie de la vie. Philosophie qui, si elle est ici nommément bouddhiste, n’est propre à aucune culture en particulier : goût de l’effort, sens de la mesure, volonté de progresser.
Une fois revenu dans le monde après son apprentissage (dans lequel il apprend notamment à se servir de sa tête…pour être en mesure de distribuer des coups de boule ! les moines Shaolin aussi ont une forme d’humour!), le héros sera devenu un homme, capable de peser sur son environnement et de créer la fameuse 36ème chambre d’entraînement qu’il appelle de ses vœux.
Au fond, la morale du film est la suivante : le travail, le dépassement de soi et le courage peuvent, parfois, améliorer le monde. Rien que pour avoir rappelé cette réalité, « La 36ème chambre de Shaolin » est un film précieux.
Deux mots de contexte
Fondée en 1958, la Shaw Brothers produisit en Asie un millier de films, dont un bon quart consacré aux arts martiaux. Ces films de cape et d’épée chinois connurent dès la fin des années 60 une extraordinaire popularité à travers le continent asiatique, et aujourd’hui encore la Shaw Brothers est associée au genre kung-fu dans la mémoire collective.
La plupart de ces films de kung-fu se basaient sur des recettes simples mais efficaces : des intrigues lisibles reposant sur des valeurs confucéennes et bouddhistes familières à la plupart de spectateurs asiatiques, des acteurs jeunes et charismatiques (Jimmy WANG YU, David CHIANG, Ti LUNG, Cheng PEI-PEI, Gordon LIU), des réalisateurs talentueux (Chang CHEH et Lui CHIA-LIANG en tête), et surtout, surtout…des combats hallucinants dont les chorégraphies furent inégalées et inégalables jusqu’aux années 90. Un véritable festival visuel, provoquant le plus souvent, y compris chez le spectateur adulte, responsable et blasé un « whaaaaaaaaa !! » jubilatoire digne d’un gamin de 10 ans aux yeux écarquillés d’admiration.
Voici donc sans plus attendre, présentés par ordre chronologique, trois de ces petits bijoux :
« Un seul bras les tua tous », de Chang CHEH
Un titre français carrément martial pour un film qui confirma le virage « arts martiaux » du studio Shaw Brothers à la fin des années 60 et dont le succès phénoménal imposa pour de bon son réalisateur fétiche, Chang CHEH.
Une fois n’est pas coutume, si le film s’impose par une photographie élégante et des scènes martiales réjouissantes, c’est bien la sensibilité de son intrigue qui frappe. Le cœur de l’histoire n’est pourtant pas spécialement original : comment un guerrier mutilé, ayant perdu son bras d’épée, parvient, non seulement à surmonter un handicap a priori rédhibitoire, mais même à en tirer parti pour devenir un homme meilleur.
Mais Chang CHEH et son interprète Jimmy WANG YU parviennent avec maestria à faire ressentir l’évolution psychologique d’un jeune guerrier à qui tout souriait et qui doit apprendre à vivre avec une grave mutilation. Introspection qui l’oblige à interroger les valeurs martiales qui furent toute sa vie les siennes, à comprendre pourquoi et pour qui il doit se battre, plutôt que comment. Tout le film tourne autour de la violence, de la nécessité d’y recourir parfois, mais aussi de la spirale de vengeance qu’elle entraîne inéluctablement.
C’est ainsi que le héros, ayant retrouvé et même dépassé ses aptitudes martiales originelles, choisit de se détourner de la violence et de vivre une existence paisible avec celle qui a su lui redonner courage, rompant avec le destin que son environnement avait fixé pour lui de toute éternité.
Mais je vous rassure : comme on est tout de même dans un film de kung-fu, il aura entre-temps transformé en chair à pâté le Grand Méchant et ses abominables séides. La non-violence c’est bien, mais il ne faut pas en abuser non plus, surtout dans le cinéma de Hong Kong !!
« La rage du tigre », de Chang CHEH
Si la non-violence vous inquiète, rassurez-vous…« La rage du tigre » vous la fera définitivement oublier ! Au début des années 70, le succès exponentiel d’ « Un seul bras les tua tous » poussa les frères Shaw et le réalisateur Chang CHEH à remettre le couvert en en réalisant le remake.
Enfin, remake…disons que l’idée de base est la même : un jeune guerrier obligé de renoncer aux arts martiaux suite à la perte de son bras droit, et reprenant du service afin de pourfendre de vils criminels. La ressemblance s’arrête là. L’acteur n’est plus le même : le brillant David CHIANG prête sa fragilité trompeuse à un film dont le contenu éthique et moral de l’original est totalement évacué, pour ne plus en retenir qu’une violence folle et incontrôlable.
De la même manière que tout le déroulement de la « Horde sauvage », de Sam PECKINPAH, tendait vers le massacre final, tout dans « La rage du tigre » converge vers un des climax les plus frappés de toute l’histoire du cinéma. Je parle de la fameuse scène du pont, dans laquelle le héros, transformé en un véritable ange exterminateur tout de blanc vêtu (couleur de la mort en Chine) taille en pièces une armée de brigands, aussi impuissants face à son sabre que s’ils étaient de petits enfants sans défense.
D’une brutalité insensée pour l’époque, à la limite de l’abstraction, « La rage du tigre » est, avec « Vengeance », le meilleur film de Chang CHEH, dans lequel il peut faire montre de sa virtuosité, de son ambiguïté morale et de tout son sens de la démesure.
« La 36ème chambre de Shaolin », de Liu CHIA-LIANG
Devant tant de violence, besoin se fait parfois ressentir de chercher refuge dans la religion. C’est en somme ce que fait le héros (Gordon LIU, absolument impérial) : obligé de fuir les occupants mandchous qu’il combat, un jeune patriote se réfugie dans le monastère Shaolin, réputé pour la qualité de son enseignement des arts martiaux.
Débute alors un véritable parcours initiatique. Si la progression du héros est un thème récurrent dans le cinéma d’arts martiaux, cette fois-ci elle est au cœur même du propos. De jeune étudiant idéaliste et revanchard, Lui YU-TE va se muer au fil des ans en digne moine-guerrier, sage et sûr de lui.
Le plus clair du film retrace l’évolution physique et mentale d’un parcours dans lequel l’entraînement martial s’accompagne nécessairement de l’apprentissage d’une philosophie de la vie. Philosophie qui, si elle est ici nommément bouddhiste, n’est propre à aucune culture en particulier : goût de l’effort, sens de la mesure, volonté de progresser.
Une fois revenu dans le monde après son apprentissage (dans lequel il apprend notamment à se servir de sa tête…pour être en mesure de distribuer des coups de boule ! les moines Shaolin aussi ont une forme d’humour!), le héros sera devenu un homme, capable de peser sur son environnement et de créer la fameuse 36ème chambre d’entraînement qu’il appelle de ses vœux.
Au fond, la morale du film est la suivante : le travail, le dépassement de soi et le courage peuvent, parfois, améliorer le monde. Rien que pour avoir rappelé cette réalité, « La 36ème chambre de Shaolin » est un film précieux.
Bruno B.
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