Points de vues sur l'Islande 1/3 : du confinement aux confins de L’Islande…

L’Islande, une île perdue au milieu de l’océan atlantique nord, entre ciel et mer, de grands espaces jalonnés de montagnes, volcans et fjords. Mais aussi un climat particulièrement rude et une nature parfois hostile et éprouvante, le froid, la neige, les vents tempétueux, les embruns et les déferlantes. Tantôt ténèbres, tantôt lumières, prairies verdoyantes ou manteaux blancs, à l’image de l’âme humaine et de la vie elle-même.



Points de vues sur l'Islande 2/3 : une île en soi, une île en sons ! 
Points de vues sur l'Islande 3/3 : Bjork, la Fée de Reykjavik 



Une nation de lettrés et "un fleuve de livres"


Ce territoire insulaire et sauvage impose parfois « un confinement » pour se mettre à l’abri des caprices de la nature et du déchaînement des éléments, d’un hiver froid et interminable avec sa blancheur ténébreuse. Est-ce un hasard si un fort pourcentage de la population s’adonne non seulement à la lecture mais aussi à l’écriture ? L’immensité de ces paysages l’omniprésence de la nature dans sa duplicité sa beauté, d’un côté, et de l’autre, la mise à l’épreuve qu’elle impose parfois, rendent sans doute propices l’écriture et l’inspiration. Un islandais sur dix publiera au moins un livre au cours de sa vie.

Pour les Islandais la lecture est une respiration, une évasion, un moyen de briser l’isolement et d’aller à la rencontre du monde, mais aussi une introspection. Le corollaire de cet amour de la lecture fait de l’objet livre un objet sacré et le cadeau indispensable et privilégié dans les foyers à Noël avec la tradition du « fleuve de livres », en langue autochtone « jolabokaflod ».


Focus sur Jon Kalman Stefansson

Parmi la somme d’hommes de lettres qui fleurissent sur le sol islandais, Jon Kalman Stefansson, magnifiquement traduit par Eric Boury. Tout un vécu chez cet auteur, qui fut tour à tour maçon, pêcheur, abatteur de moutons et bibliothécaire. Si avec Jon Kalman Stefansson le dépaysement est garanti, son œuvre est loin d’être une simple carte postale mais soulève avec poésie et profondeur le cœur de l’identité islandaise. Une singularité à la fois emblématique et universelle des affres et des joies de la condition humaine. Tout en contrastes, ombre et lumière, passé et présent, paysages extérieurs, paysages intérieurs.

Il nous offre une écriture empreinte de poésie, toute aussi envoutante qu’exigeante. Elle nous soulève, nous émeut, nous bouleverse, nous heurte parfois. Elle nous interroge sur le pouvoir et la force des mots, le rôle de la littérature et la condition d’écrivain, sur l’importance et le poids du passé pour mieux appréhender et comprendre la modernité. L’homme dans son rapport à la nature, à l’histoire individuelle et collective et sa place dans le monde. 

Avec son diptyque D'ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds (2015) et A la mesure de l’univers (2017), Jon Kalman Stefansson poursuit la tradition littéraire islandaise, car il s’agit d’une saga familiale sur trois générations. Le narrateur évoque le retour d’Ari, éditeur et poète, dans sa ville natale, Kéflavik. Une ville sombre, un peu désolée marquée par le souvenir de la présence d’une base militaire américaine durant de longues années, ayant participé à de nombreuses mutations et influencé l’histoire et la vision du monde des habitants de l’île. On y découvre aussi l’importance de l’industrie de la pêche dans l’économie du pays. Ari qui traverse une crise existentielle replonge dans le passé et on suit ses oscillations entre le passé et son présent. Et au travers des époques beaucoup de personnages se dessinent dont les chemins de vie convergent vers celui d’Ari. Son père Jakob, sa grand-mère Margaret, son grand-père marin d’exception …

Rêveries, dépaysement, contemplation et introspection sont servis par la prose lyrique et poétique de l’auteur.

Extrait D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds :


La vie nait par les mots et la mort habite le silence. C’est pourquoi il nous faut continuer d’écrire, de conter, de marmonner des vers de poésie et des jurons, ainsi nous maintiendrons la faucheuse à distance, quelques instants.
Dans la trilogie Entre ciel et terre (2010), La tristesse des anges (2011), Le cœur de l’homme (2013), le personnage central est nommé « le gamin », c’est un jeune marin malgré lui qui a plus l’âme d’un poète que celle d’un matelot. Il partage sa fascination des mots et son amour de la poésie avec son meilleur ami Bradur. Cependant pour ce dernier c’est une passion qui va le mener à sa perte. Trop préoccupé à retenir des vers de Milton, Bradur oublie sa vareuse au moment d’embarquer et cet oubli le livrant à la merci du froid va lui être fatal.

Le gamin déchiré par la perte de son ami ressent une furieuse envie d’en finir. Il part avec en main le livre qui a coûté la vie à son compagnon, bien décidé à le rendre à son propriétaire. De là vont naître des rencontres, et, avec elles, une nouvelle destinée pour ce jeune garçon, dont la sensibilité derrière les hésitations et les maladresses n’échappera pas à certains. Et c’est dans l’hiver et les tempêtes de neige interminables, en compagnie du postier Jens que ce nouveau destin va prendre corps, et avec lui les désirs que « le gamin » porte en son sein.

Dans cette trilogie à la prose encore une fois saisissante de poésie et de beauté, l’auteur nous emporte entre ténèbres et lumière, feu et glace, entre vie et mort.


Extraits Entre ciel et terre :


Le gamin dort profondément, ignorant de lui-même.

Il rêve de vie, il rêve de mort.

Il en est qui, parmi les défunts, vivent en rêve, voilà pourquoi il peut être douloureux de se réveiller. Il se tourne dans l’obscurité et met un certain temps à prendre ses repères, à distinguer le réel du rêve, la vie de la mort, allongé dans le lit, il geint, comme un animal blessé, se rendort, s’enfonce comme une pierre dans l’océan des songes.

Parfois, c’est dans le sommeil qu’on est le plus heureux, tu y es à l’abri, le monde ne t’atteint pas. Tu rêves de sucre candi et de jours de soleil.(...)

Certains mots sont des balles de fusil, d'autres des notes de violon. Certains sont capables de faire fondre la glace qui nous enserre le cœur et il est même possible de les dépêcher comme des cohortes de sauveteurs quand les jours sont contraires.
Astà (2018), c’est à une lettre près le mot amour et le nom d’une héroïne d’un célèbre roman et c’est le nom que choisissent Sigvaldi et Helga pour leur fille. Mais leur passion, ce prénom prestigieux et plein d’espoir, n’empêcheront pas les méandres de la vie, les séparations douloureuses, l’impossibilité d’aimer, la tragédie familiale, les chemins qui s’éloignent, l’incompréhension. Et ce père tombé d’une échelle et au seuil de sa vie qui se souvient, le bonheur, mais aussi, ses erreurs, les non-dits, l’impossibilité à vivre, à aimer et Astà sa fille, elle aussi dans l’incapacité de trouver le bonheur et les mots.

Dans cette tragédie familiale on retrouve la difficulté à aimer, le poids d’un atavisme familial douloureux. Mais c’est aussi un roman charnel dans lequel transparaît une formidable pulsion de vie et l’amour dans tous ses aspects.

Extrait Astà:

Il m'est plus difficile de t'écrire que je l'avais imaginé. Est-ce parce que celui qui écrit est contraint de se regarder en face ? Je me suis levée, ne sachant quoi faire d'autre. Parce que plus rien n'a de sens depuis ton départ. Les livres, les nuages, les chaussures, la tasse à café, les lignes de bus, la nuit, le lendemain... le lendemain, lui, il en a encore moins que tout le reste. Parce que tu n'es pas là. Je me suis levée, la seule chose qui me faisait envie, c'était d'entendre la voix de ma chère Nina. J'ai écouté Since I Fell For You, Puisque je t'ai succombé (you took my love, and now you're gone / tu as pris mon amour / puis tu es parti) au moins cinq fois. Ce n'était sans doute pas une bonne idée.
Retrouvez d'autres ouvrage sur l'Islande à la bibliothèque 

Florence D.

Aucun commentaire:

Fourni par Blogger.