Les Mangas dans les Bibliothèques de Nîmes : Interview

Je m'appelle Bruno BATLLOU, présentement Bibliothécaire de l'équipe des Savoirs à Carré d'Art Bibliothèques. Une de mes principales missions consiste à m'occuper des achats en Histoire-Géographie et dans pas mal d'autres domaines en sciences humaines. Mais les fidèles lecteurs du blog savent que je m'intéresse aussi beaucoup à d'autres domaines, comme le jeu, le cinéma et la bande dessinée!!

Tu es passionné de manga depuis toujours ? Quel est l’œuvre qui t’as fait « basculer » ?

Fan de BD, donc! Et la découverte du manga, vers le début des années 90, fut un grand moment de ma vie de bédéphile. Pensez donc! Des décennies de chefs-d’œuvres publiées en quelques années, ce fut un grand moment! Imaginez 40 ans de BD franco-belge dont on éditerait d'un seul coup tous les monuments à l'étranger...eh bien c'est ce que j'ai vécu au cours de cette période. Et ce fut une sacrée claque!

Tu as donc appris dans la presse le décès de l’immense scénariste Kazuo Koike. Au-delà du bibliothécaire, c’est donc le passionné qui souhaite lui rendre hommage. Quelle est ta première réaction à chaud ?

Kazuo KOIKE fut l'un des auteurs qui me marqua le plus au cours de ces années-là. Ce très grand scénariste, mort il y a quelques jours, fut l'un des meilleurs représentants du mouvement gegika. Ce mouvement est né dans les années 60 et donna sa pleine mesure au cours de la décennie suivante. Ce mouvement mettait l'action sur le réalisme, en réaction au style plus enfantin qui régissait le manga au cours des années 50, dominées par l'immense (et un peu étouffant) TEZUKA.

Pourquoi cet auteur a connu ce si grand succès ?


Kazuo KOIKE fut un vrai scénariste populaire, dans l'acception la plus noble du terme. Il a écrit des histoires bien troussées, pleines de bruit et de fureur, mais qui savaient s'inscrire dans un contexte historique réaliste qui participait beaucoup à l'immersion du lecteur.
Ses principales oeuvres furent "Lady Snowblood", dont nous parlerons plus longuement un peu plus loin, "Crying Freeman" (brillamment adaptée par notre compatriote Christophe GANS), et surtout son oeuvre majeure, "Lone wolf and cub".
Ce dernier titre fut un succès phénoménal, entraînant la réalisation de 6 films adaptant son univers féodal abrupt. D'ailleurs le manga n'était alors même pas achevé au moment du tournage...même principe en somme que pour "Game of thrones", dont la série TV s'achève alors que George MARTIN n'a pas encore achevé l'écriture des romans!!



Nous disposons en bibliothèque de sa série "Lady Snowblood", c’est l’occasion de faire un point sur cette sublime collection …Peux-tu nous la présenter ?


Une des meilleurs oeuvres de Kazuo KOIKE fut donc "Lady Snowblood", mini-série en 3 volumes parue au Japon en 1972/1973, puis chez nous 35 ans plus tard.
Elle illustre à merveille ce que je disais à l'instant à propos de cet auteur : une histoire prenante tournant autour d'une vengeance, un cadre réaliste et bien documenté (l'ère Meiji, à la fin du 19ème siècle), une héroïne charismatique... Une très belle construction scénaristique.
Pour ne rien gâter, le dessin était assuré par Kazuo KAMIMURA, artiste au style sensible qui s'était également spécialisé dans le gekiga. Faire appel à lui pour une série orientée action était courageux, car il émane de son dessin une fragilité qui a priori collait mieux à des œuvres comme "Lorsque nous étions ensemble". Et pourtant! Le mélange entre un récit violent et un dessin tendre et romantique fonctionne à plein! Et puis Yuki, la Lady Snowblood, apparaît tellement belle et dangereuse sous son pinceau...

C’est la mode des adaptations en ce moment. Avons-nous connaissance d’un portage du manga au cinéma ou à la télévision ? 

"Lady Snowblood " fut adapté à 2 reprises, une fois dans les années 70, une autre fois en 2001. Mais son influence dépasse ses adaptations proprement dites : certaines scènes de "Kill Bill", de Quentin TARANTINO, sont totalement inspirées par cet univers!
De manière plus large, "Lady Snowblood" est un très beau portrait de femme forte, même si certaines concessions sont faites au manga d'action : l'héroïne est capable d'exploits surhumains, qui pourtant semblent presque naturels de sa part. Et puis bien sûr, contexte de l'époque oblige, elle est dénudée plus qu'à son tour! Mais si l'on excepte ces menus travers, il me semble incontestable qu'elle a pu représenter un modèle d'émancipation qui était hardi dans un Japon encore très traditionaliste dans les années 70.


Pour terminer, comment mesurer l’héritage de cet immense artiste ?

L'héritage de Kazuo KOIKE...c'est simple, il est considérable. Il a donné ses lettres de noblesses au manga historique, dont Hiroshi HIRATA par exemple fut un des fleurons (un sacré gaillard lui aussi!). Mais il également contribué à ouvrir une voie qui a irrigué le manga réaliste : je pense sincèrement qu'un chef-d'oeuvre comme "Sanctuary" n'aurait jamais vu le jour dans les années 90 si quelqu'un comme KOIKE n'avait pas joué les pionniers.
Bref! Ce fut un grand bonhomme, un de ceux qui se sont battus pour que la bande dessinée acquière ses lettres de noblesse, et rien que pour ça il demeurera toujours un artiste cher à mon cœur (et je vais m'arrêter là sinon je sens que je vais devenir sentimental!!😃).

emprunter les Mangas de Kazuo Koike à la bibliothèque


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