L’étrange suicide de l’Europe par Douglas MURRAY
Attention, livre piégé ! Au premier abord, on pourrait croire que l’ouvrage du journaliste britannique Douglas MURRAY est un énième cri d’alerte traitant du problème migratoire européen. Ce qu’il est bel et bien, d’ailleurs. Mais le fond de son interrogation est d’une autre nature, dans la mesure où ce n’est pas tant le phénomène migratoire que l’Europe elle-même qu’il scrute. Et le résultat est passionnant.
Il était une fois en Europe
Les essais de qualité portant sur la question migratoire au sens large sont désormais légion dans le panorama éditorial français, et on ne peut que s’en réjouir. Certains ouvrages, comme ceux de Christopher CALDWELL, de Michèle TRIBALAT ou encore de Malika SOREL-SUTTER, se faisaient l’écho de cette question il y a quelques années déjà. Mais, depuis l’appel d’air inédit de l’été 2015 provoqué par la chancelière allemande, tous les pays européens sont en situation d’avoir à clarifier à plus ou moins brève échéance leur politique (ou non-politique) migratoire. Cette remise en cause, pour dure qu’elle puisse paraître, n’en est pas moins nécessaire.
Nos amis britanniques, dont les plumes se voient sans l’ombre d’un doute libérées depuis deux ans par l’annonce du Brexit, ne sont pas en reste. Venant juste après son compatriote Stephen SMITH, le journaliste Douglas MURRAY vient en effet de remporter un vif succès dans son pays avec L’étrange suicide de l’Europe. Le titre même ressemble bien à un clin d’œil en direction de L’étrange défaite, l’ouvrage mythique que l’historien français Marc BLOCH rédigea au lendemain de la défaite de mai-juin 1940 face aux nazis.
Douglas MURRAY se livre à vrai dire à un très bon travail de synthèse sur la question migratoire à l’échelon européen - ou, pour être précis, à l’échelon de l’Europe de l’Ouest, celle de l’Est ne paraissant pas éprouver le moindre désir de suivre ses voisins occidentaux dans cette voie particulière ! Pour quiconque disposant d’ores et déjà d’une connaissance ne serait-ce que passable du sujet, il n’y aura rien de neuf sous le soleil. Il rappelle simplement selon quels mécanismes, au moment des décolonisations des années 50 et 60, les pays d’Europe occidentale firent venir des millions de travailleurs étrangers dont la présence, de temporaire, devint définitive. Une politique générale de regroupement familial, le développement des courants islamistes à compter de la fin des années 70, l’enkystement de cette population dans des quasi-ghettos, et nous avons le résultat connu de tous en 2018.
La tyrannie de la culpabilité
Ce qui est parfaitement déprimant, c’est que Douglas MURRAY fait bien apparaître que le schéma fut identique partout, de la France à la Grande-Bretagne, en passant par l’Allemagne, la Suède ou la Belgique. Ainsi que l’a démontré la démographe Michèle TRIBALAT, l’assimilation à la française a été balayée par le phénomène ; seulement, MURRAY prouve également qu’aucun autre modèle d’intégration, du plus inclusif au plus multiculturaliste, n’a fonctionné ces dernières décennies. Nulle part. Jamais. Ce qu’il y a de plus intéressant dans son ouvrage, c’est que l’auteur ne se contente pas de livrer un constat, aussi juste soit-il. Il cherche à comprendre. Et c’est en cela que réside sa véritable force : il ne cherche pas à identifier plus avant des causes exogènes déjà bien connues à un problème qui ne l’est pas moins. Pour l’exprimer vulgairement, il cherche à comprendre ce qui foire chez nous.
Parce que, second constat, selon lui quelque chose foire bel et bien ! On connaît l’expression de CHESTERTON à propos de vertus chrétiennes devenues folles, et à vrai dire Douglas MURRAY n’est pas loin d’aller chercher la source de nos faiblesses dans cette direction. Au cours de ces dernières décennies la culpabilité a rongé comme un acide les consciences européennes. Les horreurs de deux guerres mondiales ne sont certes pas aisées à oublier, non plus que les errements et les crimes de la politique coloniale des principales puissances européennes au cours du XIXème et du début du XXème siècle !
L’Europe fut maîtresse du monde jusqu’en 1945, et en a conservé l’idée selon laquelle elle demeurait responsable de tout ce qu’il advenait dans le vaste monde – idée totalement erronée en 2018, bien évidemment.
La capacité des pays européens à faire face à leur histoire n’est pas le moindre de leurs attraits. Mais poussée à l’extrême, cette tendance se dévoie en masochisme pur.
« Accueillons chez nous toute la misère du monde afin de sauver nos âmes » : ainsi concentrée en une maxime, elle apparaît pour ce qu’elle est, une absurdité. Et même une double absurdité, puisque Douglas MURRAY insiste précisément sur le fait qu’un des éléments qui a affaibli l’Europe face à l’irruption de l’Islam ces 40 dernières années fut notre déchristianisation, qui nous a rendus incapable d’appréhender le point de vue de nouveaux arrivés authentiquement croyants.
Cette « Tyrannie de la pénitence », pour reprendre le titre d’un essai de Pascal BRUCKNER, nous désarme complètement en ceci qu’elle nous a trop longtemps empêché de percevoir la question migratoire comme un sujet politique et non comme un sujet d’ordre moral.
Ce qui arrivera
Dans ce contexte, l’essor des formations populistes n’a rien pour surprendre. L’Alternative für Deutschland (AfD) en Allemagne en est le signe le plus évident, dans un pays où aucune formation populiste n’était jamais parvenue à dépasser le niveau groupusculaire depuis 1945. A l’instar de MURRAY lui-même, rappelons vigoureusement que « populiste » n’est en aucun cas synonyme de « fasciste ». Hormis quelques groupes extrémistes type Aube Dorée en Grèce, il n’y a en 2018 pratiquement plus de partis d’extrême-droite sur le sol européen. Le développement de ces partis est clairement associé au sentiment d’abandon que ressent une part croissante des natifs européens – et d’une partie de la population d’origine immigrée d’ailleurs, qui saisit bien que, si elle n’est pas stoppée un jour, cette noria incessante finira par broyer tout le monde !
En résumé, les Européens de l’Ouest se sentent de moins en moins chez eux. Le Grand Remplacement prophétisé par Renaud CAMUS est très certainement un fantasme, mais la perte de notre mainmise sur une partie de notre population et de notre territoire n’en est pas un. On en vient à se souvenir du destin d’Etats multiconfessionnels ou multiculturels, et à se dire qu’au Liban ou en Yougoslavie, ça s’était terminé en guerre civile pure et simple... Et comment ne pas constater le total effarement de nos voisins du Groupe de Visegrad, qui, Hongrie en tête, en viennent à nous traiter de fous à voix haute?
MURRAY compare notre (in)action sur la question migratoire à un effondrement nerveux. Des pays, des Etats-Nations désireux de vivre et de s’imposer sur la scène internationale ne peuvent décemment pas mener une non-politique pareille. Car enfin ! ne perdons pas de vue que nulle part en Europe, ces 50 dernières années, il n’y eut jamais aucune consultation populaire sur ce sujet pourtant brûlant ! Qu’un phénomène d’une telle importance ait pu se produire sans aucune validation des peuples concernés ne peut que laisser pantois.
En tout état de cause, il nous semble évident qu’à ce jour seul un authentique réarmement moral permettra aux peuples d’Europe occidentale de demeurer des peuples européens, enrichis par la culture de ceux qui, issus des peuples extra-européens, auront sciemment choisi d’agréger leur destin au nôtre. Ce qui implique de retrouver le sentiment de nos souverainetés respectives et des intérêts vitaux de nos Nations. Si nous ne le faisons pas…eh bien l’Europe existera toujours, très certainement. Mais elle n’aura alors plus aucun rapport avec ce que l’on a pu appeler « Europe », au fil des siècles et des quatre coins du monde.
Bruno B. Bibliothécaire
L'étrange suicide de l'Europe : immigration, identité, islam
Douglas Murray
L'Artilleur, 2018
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