George ROMERO, Zombie
Il y a un an George ROMERO décédait. Quelques mois de plus, et celui qui fut l’un des plus grands maîtres du cinéma fantastique américain aurait pu fêter dignement les 40 ans de l’un de ses films les plus réputés, « Zombie ». Une fois n’est pas coutume, ce billet est un hommage explicite à ce réalisateur modeste et encore trop méconnu, qui ne fut pourtant pas le moindre des réalisateurs talentueux qui révolutionnèrent le cinéma américain entre les années 60 et les années 80.
« Nous sommes en plein cauchemar ! – Hélas, non… »
Le dialogue qui précède est le tout premier du film, et déjà il donne le ton. Nous sommes dans un studio de télévision en proie à une panique totale. En quelques plans et une poignée de répliques, tout est dit : sans que quiconque comprenne le pourquoi ou le comment, les morts reviennent à la vie, ou plutôt à un hideux simulacre de vie, et s’attaquent aux vivants pour les dévorer. En 5 minutes, sans même avoir été témoin de quoi que ce soit, le spectateur est littéralement happé par une ambiance angoissante de fin du monde.
« Zombie », s’il n’est sans doute pas le tout meilleur film de George ROMERO (à titre personnel je vote pour le bouleversant « Knighriders » !) se situe néanmoins en haut de sa filmographie. Et il est, en tout état de cause, celui qui connaîtra la postérité la plus notable. En 1978, ROMERO est à présent un réalisateur chevronné. Dix ans auparavant, « La nuit des morts-vivants », malgré les déboires juridiques qui accompagnèrent le film, avait remporté un succès mérité et fait de lui une des étoiles montantes du cinéma américain. Ce qui lui octroya le crédit suffisant pour réaliser tout au long des années 70 des films fantastiques d’une remarquable inventivité, à l’instar de « Martin » ou de « Season of the witch ».
Aussi original qu’il ait pu être, « La nuit des morts-vivants » n’en était pas moins un petit film d’auteur en noir et blanc, réalisé avec 3 élastiques et un trombone, dont le manque de moyens était par moments flagrant. D’où l’idée de reprendre l’idée originale et de la développer dans ce qui deviendra à la fois un remake et une suite. Alors que « La nuit des morts-vivants » était presque un huis-clos, avec une poignée d’individus terrorisés se réfugiant dans une maison isolée afin de s’efforcer de survivre à l’attaque d’une horde de morts-vivants, « Zombie » se projette d’office dans une toute autre dimension.
«Quand les morts se remettent à marcher, messieurs, mieux vaut s’abstenir de tuer…on est vaincu d’avance. »
Dans « Zombie », la situation générale est devenue critique. Tout mort dont le cerveau n’aurait pas été détruit dans les minutes suivant son décès revient à la « vie » et attaque les vivants, réduit à une simple enveloppe corporelle dégradée et désormais dépourvu de toute intelligence. La panique qui s’ensuit faisant beaucoup de victimes, les morts deviennent mécaniquement de plus en plus nombreux. Les autorités, malgré quelques mesures de confinement, commencent à être totalement dépassées par les événements. Ce que voyant, quatre survivants décident de voler un hélicoptère et de s’éloigner au maximum des grands centres urbains, avant de s’emparer de haute lutte d’un centre commercial dont ils vont faire le centre de leur univers.
Même après plusieurs visions, appréhender l’extraordinaire richesse de ce film demeure un défi ! Film d’horreur, aucun doute, et même un des meilleurs du genre. Il fixe pour de bon la figure du zombie, l’éloignant de sa figure historique (rappelons que le zombie authentique est un homme drogué par un prêtre vaudou haïtien, dans le but de le tenir en son pouvoir) pour en faire une figure de mort-vivant plus fruste mais encore plus effrayante que le vampire. Ce qui se traduit visuellement par une violence inouïe, qui vous tétanise encore 40 ans plus tard. Les effets spéciaux du talentueux Tom SAVINI n’y sont pas pour rien, le bonhomme étant revenu quelques années plus tôt du Vietnam, de son propre aveu, plus qu’à moitié perturbé… De fait, « Zombie » est un des très rares films des années 70 dont la classification aux moins de 16 ans a été maintenue de nos jours, et avec raison.
Cantonner le film dans l’horreur pure ne serait cependant pas lui rendre justice. C’est aussi un film d’action formidable. Rarement des combats urbains auront été rendus avec une telle maestria, en particulier dans la version européenne dirigée par le réalisateur italien Dario ARGENTO, dont le montage lui confère une énergie proprement bluffante ! La dimension musicale fait plus qu’y participer, la bande originale du film composée par le groupe GOBLIN (les habituels compères de Dario ARGENTO) étant une de leurs plus belles réussites, et très certainement l’une des BO parmi des plus atmosphériques de toutes les années 70 ! A ceci s’ajoute un vrai discours politique dirigé contre la société de consommation, George ROMERO ayant été de manière notoire un homme engagé très à gauche – la symbolique du centre commercial objet d’une série de tueries innommables n’ayant définitivement échappé à personne !
« Quand il n’y a plus de place en enfer, les morts reviennent sur Terre. »
Mais ce n’est peut-être pas encore le principal. Jamais, ce me semble, jamais aucun film n’aura laissé transparaître une telle épouvante métaphysique que « Zombie ». Car ces morts-vivants décérébrés qui cherchent inlassablement à vous tuer et à vous dévorer, c’est vous, c’est moi, c’est nous. Chaque mort deviendra inéluctablement un mort-vivant, et même s’il est possible de les tuer pour de bon en détruisant leur cerveau, petit à petit les morts-vivants deviendront plus nombreux que les vivants tout court… D’où un sentiment d’horreur existentielle qui traverse le film pour une raison en somme très simple : l’Horreur n’est pas extérieure à nous…c’est nous qui sommes l’Horreur.
La morale profonde du film est cruelle et sans concession. Elle déboulonne sans pitié tous les repères éthiques, culturels et religieux sur lesquels repose notre civilisation. Que les deux hommes blancs du groupe ne survivent pas est en définitive parfaitement logique, puisqu’ils étaient, plus que leurs compagnons, les premiers bénéficiaires de ce monde dont on comprend bien qu’il s’effondre à jamais. La toute dernière scène de « Zombie » est à l’avenant : tout en laissant croire à un pseudo-happy end, elle souligne en réalité l’espoir qu’il reste aux derniers survivants : absolument aucun.
La postérité de ce film fut stupéfiante : la figure du zombie telle que ROMERO l’a recomposée a été déclinée dans d’innombrables films, mais aussi en BD (la série « Walking Dead ») ou en jeu vidéo (« The Last of Us »). Malheureusement, ROMERO n’en a que médiocrement bénéficié. Comme tant d’autres réalisateurs de sa génération, il fut progressivement mis de côté par l’industrie cinématographique. S’il ne perdit jamais son talent (désolé les gars, mais si, « Bruiser » EST un bon film !), il disparut petit à petit des écrans radars jusqu’à sa réapparition dans les années 2000 avec « Land of the Dead ».
La tragédie de ROMERO fut que celui qui proposa dans les années 70 et 80 un cinéma follement inventif fut forcé, pour pouvoir continuer à tourner, de se cantonner dans les années 2000 à réaliser ad nauseam des films de zombies tout à fait honorables, mais qui n’étaient que des pâles répétitions de certains de ses plus grands succès. Il n’en continua pas moins, au fur et à mesure des ressorties de ses anciens films, de continuer à militer dans les suppléments DVD qui les accompagnaient en faveur d’un authentique cinéma personnel et engagé. Ces dernières années auront ainsi rendu familier aux cinéphiles du monde entier son visage de vieux bonhomme souriant qui a continué à défendre jusqu’à son dernier souffle un cinéma qu’il a tant aimé et dont il fut un digne représentant. So long, George. Si l’on espère bien que ne reviendras jamais parmi nous en tant que zombie friand de chair humaine, sache que tu n’en continueras pas moins à hanter très longtemps encore nos rêves et nos cauchemars…
Bruno B. Bibliothécaire
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