Lettre à Ronit Elkabetz

Chère Ronit, 


Pardonne-moi pour ce long silence et surtout ne m'en veux pas si je te tutoie.
Te souviens-tu de ce vol Paris Tel-Aviv ?
Fin Août 2014 !

L’hôtesse t’a accompagnée jusqu’à ton siège, je t’ai proposé la place coté hublot et tu as fait non de la tête en souriant. Tu t’es installée, tu as enlevé tes lunettes fumées. Je t’ai immédiatement reconnue, une rencontre improbable !
Et j’ai osé... j’ai osé t’adresser la parole ! Mon hébreu balbutiant, ton français parfait...

Nous avons parlé entre autres d’Amos Gitaï, de Keren Yedaya, d’Eran Kolirin et de leurs films : « Alila », « Mon trésor » et « La visite de la fanfare ».
De ton frère Shlomi avec lequel tu as réalisé cette trilogie « Prendre femme »,
« Les 7 jours » et « Le procès de Viviane Amsalem »
.
De ton projet d’incarner Maria Callas...

Tu t’es intéressée à moi, à mon métier, à mon chemin, à mes envies.
Au sujet de ton engagement pour les droits des femmes, de tes critiques de la société israélienne, de ta tristesse lors de l'offensive contre la bande de Gaza, justement cet été 2014, tu n’as eu que des allusions discrètes.

Tu passais sous mes yeux éblouis, de la gravité à la légèreté, de la noirceur
à la lumière.

Tu buvais ton thé très infusé, presque noir... moi aussi.
Nous nous en sommes amusés.

Et lorsque tu m’as dit : « Déjà enfant, je ne faisais pas les choses à moitié ; dans mes rôles, j'aime chercher ce qui saigne, ce qui gratte ! »...
J’ai mieux appréhendé tes personnages écorchés, tes colères de Médée Sépharade.

 

 
J’ai évoqué la tragédie grecque, l’actrice Irène Papas. Tu as éclaté d’un rire rauque et, plus doucement, de ce timbre un peu voilé comme ces voix italiennes que j’aime tant, tu m’as dit que la vraie vie était ailleurs.

Je t’ai parlé de ma mère, des raisons de mon voyage en Israël.
Tu étais silencieuse tout à coup, ton regard dans le vague, ton sourire un peu las.

Je me suis senti soudain trop bavard et je me suis concentré sur ce silence,
sur cette émeraude à ton doigt...

Le pilote amorçait sa descente, quelques turbulences à l’atterrissage et ta main qui s’est agrippée à mon poignet.
Avec un petit sourire d’excuse, tu as remis tes lunettes fumées. 

A l’aéroport Ben Gourion, une voiture t’attendait, quelqu’un s’est occupé de
tes bagages...

Un petit signe discret en guise d’adieu.

La chaleur m’a transpercé ! 

Je suis retourné dans le hall climatisé, j’ai retiré quelques Shekels pour mon taxi.

France, 19 avril 2016


Le radio réveil me tire de ma léthargie. Je ne veux pas comprendre ce qu’on vient d’annoncer. Tu es partie, la maladie a été la plus forte, sur ta tombe au cimetière de Kyriat Shaoul fleurissent des pierres. 

Je revois tes yeux sombres, ton sourire un peu las, l’émeraude à ton doigt...
La douche tiède fait s’écouler le sel de la mer morte et le sable de la plage
de Ga’ash.

Comme les souvenirs sont trompeurs !

Je ne connais d’Israël que des images de cinéma.
Je n’ai jamais pris l’avion pour Tel-Aviv...

Jean BV , Bibliothécaire.


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1 commentaire:

  1. La lecture de votre billet vient de m'apprendre avec effroi la mort de Ronit Elkabetz!! Magnifique billet ceci dit...

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