Carl SCHMITT, La notion de politique

Carl SCHMITT est un auteur relativement mal connu en France. Il n’a guère été mis en avant et défendu que par le philosophe Julien FREUND, grand connaisseur de la pensée d’outre-Rhin et introducteur de Max WEBER en France. Pourtant, nous avons tout à gagner à le connaître, car il fut l’un des meilleurs juristes de sa génération, et sa contribution à la philosophie politique demeure inégalée à ce jour.



Droit, constitution, souveraineté et politique

Pour être tout à fait honnête, il y a beaucoup de choses qui viennent légitimer le fait que Carl SCHMITT ne soit guère connu dans nos contrées ! Une prose austère, une sensibilité conservatrice, des prises de positions tranchées et un compagnonnage avec le national-socialiste au cours des années 1930 n’ont rien pour le rendre follement sympathique à un Français. Et pourtant ! Juriste de formation, il sut dès les années 1920 et 1930 diriger sa réflexion sur les notions de constitutionnalité, de souveraineté et de politique, et leur conférer une dimension jamais atteinte jusqu’ici. 

Il fit en effet très vite le constat qu’il était impossible de considérer le droit, sa discipline d’origine, comme un monde autonome. Il se démarquait ainsi de la conception libérale classique. Que le droit puisse être indépendant du pouvoir public, donc des notions de souveraineté et de politique, lui paraissait absurde. Ce qui l’incita à réfléchir sur ces domaines. Selon lui, une constitution ne saurait en aucun cas être déconnectée de la réalité politique. Elle s’inscrit toujours dans une réalité concrète qui est de son point de vue plus politique que juridique, ce dernier élément ne venant que mettre en forme un contenu qui lui préexiste. 


Le cœur de sa conception de la philosophie politique est la notion de souveraineté. C’est le fait qu’une souveraineté préexiste et surplombe le droit qui confère à ce dernier un authentique pouvoir normatif. Sans cette boussole, le droit ne peut plus se référer qu’à lui-même, avec le risque d’une déconnexion progressive avec le réel.


Or, pour que cette souveraineté dispose d’une base authentique, il lui est nécessaire de s’inscrire dans un rapport de forces de nature politique. C’est par ce biais que le politique acquiert une importance aussi primordiale dans la pensée de SCHMITT : une constitution n’est valide que si elle est adossée à une authentique souveraineté, qui elle-même ne peut s’accomplir que si elle est en mesure de déclarer l’état d’exception – décision ô combien politique !

Ce qui définit la politique : l’opposition ami-ennemi

C’est un point crucial. Pour Carl SCHMITT, des institutions qui ne s’autoriseraient pas d’être court-circuitées ne seraient guère valides. La marque d’une réelle souveraineté est d’être en mesure, non seulement d’agir en situation exceptionnelle, mais surtout de décréter que situation exceptionnelle il y a. En d’autres termes, la marque de la souveraineté réside dans le fait de disposer d’une légitimité suffisamment incontestable pour que soit décrétée l’état d’urgence le cas échéant. 

On reconnaît là l’influence de l’histoire romaine. Au cours de la République romaine, en cas de situation exceptionnelle (en général pendant une guerre), le Sénat était en mesure de se court-circuiter afin de remettre les pleins pouvoirs à un dictateur pour une période prévue à l’avance. Ce dictateur s’emparait ainsi de l’ensemble des pouvoirs ordinaires de la cité afin de pouvoir faire face plus efficacement aux dangers qui la menaçaient. Cette conception, reformulée par SCHMITT dans les années 1930, a manifestement eu une certaine influence, si l’on en juge par le principe de l’article 16 de la Vème Constitution française, qui permet au Président de la République de disposer de pouvoirs similaires à ses lointains prédécesseurs romains. 


Ce qui précède entraîne l’implication suivante : seule une légitimité réelle du pouvoir octroie à ce dernier la souveraineté nécessaire pour agir et pour établir les institutions adéquates. Cette légitimité a une source unique, la politique. Or, la politique est par essence antagonique. Elle est, pour  citer SCHMITT, « ce qui est censé être atteint, combattu, contesté et réfuté ». Elle comporte en son sein une tension dynamique qu’elle doit être en mesure de dépasser afin d’atteindre son objectif. Par conséquent, rapportée à sa plus simple définition, la notion de politique n’est autre que l’opposition ami-ennemi


Cette conception des choses est rude, indéniablement. Elle repose sur une vision du monde pessimiste. Sur l’idée selon laquelle une collectivité humaine ne peut se définir authentiquement que par rapport aux autres, dans une logique antagoniste. Sur le fait que les Etats et les peuples peuvent avoir des conceptions du monde et de profonds intérêts divergents. Pourtant elle est nécessaire pour se souvenir qu’un peuple est souverain, a des intérêts et des aspirations légitimes, qui peuvent hélas ! entrer en conflit avec les aspirations et les intérêts tout aussi légitimes d’autres peuples.


Le politique, dans son essence, réside donc dans le fait de s’efforcer de résoudre ces conflits, y compris par la guerre en dernier recours. Carl SCHMITT nous rappelle, 80 ans après ses écrits sur la souveraineté et la politique, que les institutions humaines n’ont d’autre but que de préserver le peuple concret qui les ont créées. La morale individuelle n’a guère de place dans cette architecture, on est là dans le pur domaine des Etats froids et des intérêts vitaux. Il est indéniable que cette conception des choses n’est pas satisfaisante pour l’âme ou le cœur, mais elle n’en est pas moins indispensable pour toute communauté humaine qui veut demeurer vivante. Car tout peuple qui l’oublierait trop longtemps serait certes un peuple vertueux – mais avant tout et surtout…un peuple mort. 



Bruno B. Bibliothécaire


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