Robert E. HOWARD, Solomon Kane
Malgré les remarquables rééditions d’une grande partie de son œuvre par les éditions Bragelonne (12 volumes à ce jour), le romancier américain Robert E. HOWARD demeure encore trop mal connu en France. Certes, il fut le créateur de Conan le Cimmérien, son personnage le plus connu. Mais on oublie trop souvent qu’il imagina toute une galerie de personnages iconiques qui méritent d’être redécouverts. L’un des plus marquants est sans conteste Solomon Kane.
« Des hommes mourront pour cela, dit froidement Solomon Kane »
En 1928, à l’âge de 22 ans seulement, le jeune romancier texan inventa par l’entremise d’une demi-douzaine de nouvelles le personnage qui lança véritablement sa carrière météoritique – carrière qui s’acheva hélas ! 8 ans plus tard, par son suicide. A cette date, il n’a pas encore à proprement parler inventé ce qu’on l’appellera par la suite l’heroic fantasy. Il n’en demeure pas moins que ses nouvelles historiques portent déjà la marque du fantastique.
Bien que se passant dans le XVIème siècle historique, en Europe et en Afrique, le monde que décrit HOWARD est étrangement déformé. Rempli de revenants, de reliquats dégénérés d’antiques civilisations, de prêtres vaudous et de créatures étranges, c’est un XVIème siècle déformé et maléfique qui se déploie page après page. Un monde à la lisière de la folie, dans lequel seul un héros plus fou encore que son environnement a la moindre chance de vaincre. Ce héros, c’est le Puritain Solomon Kane.
Solomon Kane…Une silhouette émaciée, toute de noir vêtue. Un visage sévère. Un verbe tranchant et autoritaire. Un homme solitaire, qui semble errer au hasard, ne transportant que ses vêtements et ses armes, affrontant le Mal partout où il le trouve sur son chemin. Solomon Kane est un Puritain fanatique, persuadé d’être la Main de Dieu sur Terre, chargé par le Tout-Puissant de châtier les pécheurs.
Robert Ervin Howard |
« Seigneur tout-puissant…tu ne m’abattrais pas comme un chacal, sans me laisser une seule chance ? – Je vais le faire, Jonas Hardraker. Et d’un cœur joyeux »
Car c’est en ça que réside toute l’ambiguïté du personnage, de cette force de la nature quasi-indestructible : jamais le lecteur ne saura s’il s’agit réellement d’un envoyé de Dieu, ou s’il n’est qu’une illuminé terriblement doué pour le combat et jouissant d’une chance insolente. Quelle que soit la réalité, Solomon Kane est en tout état de cause une véritable machine de combat aux nerfs d’acier et aux convictions inébranlables. A son contact, le commun des mortels ne peut que se sentir pécheur, faible et faillible ; même ceux qui bénéficient de son aide ne sont guère à l’aise avec lui. Son seul patronyme renvoie d’ailleurs à celui qui fut, selon la tradition biblique, le premier meurtrier…
Et pourtant…si le lecteur ne connaîtra jamais vraiment le passé de Solomon Kane, hormis quelques bribes de son expérience militaire, des indices parsemés au cours des nouvelles laisseront entendre à plusieurs reprises que ce caractère monolithique ne représente qu’une part de la réalité du personnage. On sent que Solomon Kane n’est pas totalement bon par nature, mais qu’il s’est construit une morale de toutes pièces, sur des bases parfois bien fragiles. Ainsi, dans la nouvelle La lune des crânes, est-il sur le point de céder à la tentation et de devenir le bras droit d’une reine cruelle mais séduisante aux visées expansionnistes…
« N’était-il pas un symbole de l’humanité, vacillant entre les os rongés et les têtes tranchées grimaçantes d’êtres humains, brandissant sa hache inutile et hurlant sa haine aux sinistres formes ailées de la nuit qui font des hommes leur proie ? »
La preuve de l’humanité de Solomon Kane, s’il était besoin de la donner, peut être trouvée dans une des meilleures nouvelles de la série, Des ailes dans la nuit. Histoire bouleversante, qui le voit confronté à l’échec total de ses tentatives pour protéger un village africain de la menace qui pèse sur lui. Son incapacité à peser sur le cours des événements le plongera dans la folie pure et simple, dont il ne parviendra à s’extirper qu’en redevenant maître de la situation.
Quelques pages admirables, qui démontrent à quel point l’homme le plus fort est à même de faillir si ses failles intimes sont atteintes. On finit de lire cette histoire en éprouvant encore plus de respect pour le Puritain qu’auparavant, car si vaincre en situation de force est une chose, parvenir à le faire en état de faiblesse et à moitié brisé est un exploit véritablement hors norme. Solomon Kane, malgré son fanatisme, ses failles et ses faiblesses, est bel et bien un véritable héros.
«Jusqu’à ce que ce jour vienne, l’humanité ne peut que faire face avec le plus de courage possible aux monstres tapis dans son propre cœur et au dehors. »
Mais ne nous y trompons pas. Cette vision torturée du monde, mélange de croyance en ses propres forces et de dégoût pour son environnement, n’était pas tant celle de Kane que de Robert E. HOWARD lui-même. Esprit original au caractère entier, HOWARD a dans l’ensemble éprouvé beaucoup de mal à vivre parmi ses contemporains, jusqu’à ce qu’il décide froidement de quitter pour de bon leur compagnie, à l’âge de 30 ans. Il ne faut pas oublier que derrière l’apparence d’un romancier populaire talentueux se cachait un artiste ultrasensible qui percevait son époque d’une manière encore plus critique que son Puritain de papier…
Quelques mots pour finir. Il est impossible d’évoquer la réédition des œuvres d’HOWARD aux éditions Bragelonne sans parler de Patrice LOUINET, le maître d’œuvre de la redécouverte ce cet auteur, à la fois aux USA et en France. Prenant le relais du pionnier François TRUCHAUD, qui avait beaucoup œuvré dans les années 80 pour faire connaître HOWARD, Patrice LOUINET a su mener un travail éditorial de titan, découvrant des textes inédits, les analysant et (re)traduisant une grande part du corpus howardien. Si on peut reprocher à ses traductions de n’avoir pas le charme inimitable propre à celles de TRUCHAUD, on a ici bel et bien affaire à un travail éditorial digne de tous les éloges !
Enfin, les éditions Bragelonne ont repris les superbes illustrations qui venaient agrémenter les éditions américaines. Le présent recueil est particulièrement béni des dieux, puisque c’est le grand Gary GIANNI qui, au sommet de son art, illustre les nouvelles de Solomon Kane. Il a notamment su intégrer ses dessins aux textes avec une rare maestria : si vous voulez vous en convaincre, jetez donc un œil aux pages 100 et 101. Je suis d’accord avec vous, ça calme !!
« Solomon Kane porta son regard vers les collines silencieuses et sentit leur appel muet et celui des étendues inconnues qui se trouvaient au-delà ; et Solomon Kane ajusta sa ceinture, saisit fermement son bâton et se tourna vers l’est. »
Des ailes dans la nuit
Bruno B. Bibliothécaire
Solomon Kane
Robert Ervin Howard
Bragelonne 2013
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