Roger CAILLOIS, Les jeux et les hommes
Jouer est un acte à prendre avec le plus grand sérieux !
Ce n’est assurément pas le grand sociologue Roger CAILLOIS qui aurait contredit cette assertion, lui dont l’ouvrage le plus célèbre, paru en 1958, ne fut autre que Les jeux et les hommes. Une œuvre qui de de nos jours fait encore autorité sur la question du jeu, et est plus que d’actualité en cette période de Nîmes Open Game Art !
Toutefois, l’importance du jeu avait déjà été soulignée dès 1938 par l’historien néerlandais Johann HUIZINGA, auteur d’Homo Ludens, auquel Roger CAILLOIS rend précisément hommage dès son introduction. Johann HUIZINGA sut magistralement définir l’importance sociale et psychologique du jeu, mais en se gardant toutefois bien de le décrire par l’entremise d’une typologie systématique. C’est de manière tout à fait explicite que Roger CAILLOIS se proposa de combler cette lacune.
L’ouvrage de Roger CAILLOIS, bien que court, est d’une telle richesse que toute tentative de le résumer exhaustivement semble vouée à l’échec. Qu’il suffise de dire que le coup de génie de Roger CAILLOIS fut d’élaborer une grille d’analyse des jeux d’une simplicité biblique, susceptible qui plus est de s’adapter à n’importe quelle activité ludique.
-L’ALEA représente, comme sa dénomination l’indique, la notion de hasard, d’imprévu. Tous les jeux comportant une part de hasard relèvent de cette catégorie.
-L’AGÔN recouvre quant à lui la dimension…eh bien oui, agonistique ! C’est-à-dire tout ce qui relève de la compétition, dans un sens très large.
-Le MIMICRY est quant à lui le simulacre : tout ce qui consiste à faire semblant est rangé dans cette catégorie. Le jeu d’acteur est ainsi intégré dans l’univers du ludique.
-Enfin, l’ILINX recouvre le vertige, tout le ludique qui relève du coup d’adrénaline : le saut à l’élastique sans élastique est ainsi un exemple parfait d’ILINX extrême (et à effet unique, hélas).
Afin d’apporter une dimension complémentaire à ce classement, Roger CAILLOIS imagina de surcroît une ligne PAIDIA / LUDUS, dans laquelle la première occurrence distinguait un mode de jeu puéril et exubérant, le LUDUS présentant pour sa part une acception plus ordonnée et policé du jeu. Le saut suicidaire en élastique (sans élastique) que nous mentionnions à l’instant serait pour tout dire une manifestation (très, très) PAIDA d’une activité ludique ILINX qui exige pourtant beaucoup de LUDUS pour être menée avec rigueur et discipline (et c’est plus que préférable dans le cas du saut à l’élastique…).
Afin de vous donner quelques exemples, prenons un jeu de société, mettons un jeu de plateau. Bien qu’il existe des exceptions, un jeu de plateau est le plus souvent à la jonction d’ALEA (il y a du hasard !) et d’AGÔN (on cherche à écraser ses adversaires, à les pulvériser, à les réduire en poussière, à…enfin bref, à gagner, quoi !).
Continuons. Prenons une activité comme le jeu de rôles sur table : un exemple parfait d’ALEA (presque tous ces jeux recourent au hasard, par l’entremise de dés) et de MIMICRY (certaines parties ressemblent presque à du théâtre version Commedia dell’arte).
Et les jeux vidéo, qui occupent le devant de la scène en ce moment à Carré d’Art?
Ah ! Ah ! C’est là que ça se pimente. Les jeux vidéo comportent tant de sous-catégories que toute prétention à une classification générale relèverait de la cuistrerie prétentieuse. Certains jeux à la première personne, visant à décaniller tout ce qui bouge, relèvent de l’ILINX, mâtinée d’ALEA. Un jeu d’action en réseau visant à éliminer les adversaires comportera de son côté une composante majoritaire d’AGÔN. Et ainsi de suite.
Son œuvre présente aussi un autre intérêt, celui de montrer en creux à quel point nos sociétés sont entrées de plain-pied dans le monde du ludique en quelques décennies à peine. Ses tableaux d’activités ludiques de 1958 semblent bien vides comparé à ce que nous serions en mesure de présenter en 2017. Le jeu, dans toutes les acceptions du terme, fait désormais partie intégrante de nos vies.
Mais il convient de ne pas oublier que le jeu, pour Johann HUIZINGA comme pour Roger CAILLOIS, n’était qu’une parenthèse – certes une parenthèse enchantée, tout à fait indispensable aux hommes, mais une parenthèse tout de même. Le jeu revêt bien une fonction sociale et psychologique vitale, mais il n’est pas la vie elle-même.
Et c’est pour cela que le jeu est si important lorsqu’il ne s’impose pas à nous : le jeu est par excellence une activité gratuite, libre, dans laquelle chacun peut s’engager ou se désengager à sa guise, et projeter ce qu’il veut de son corps, de son esprit et de son âme.
En somme, le jeu, lorsqu’il est exercé sainement, est une activité d’individu libre – et c’est peut-être pour cela qu’il est aussi précieux…
Bruno B. Bibliothécaire
Les jeux et les hommes
Roger Caillois
Folio Essai 1991
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Ce n’est assurément pas le grand sociologue Roger CAILLOIS qui aurait contredit cette assertion, lui dont l’ouvrage le plus célèbre, paru en 1958, ne fut autre que Les jeux et les hommes. Une œuvre qui de de nos jours fait encore autorité sur la question du jeu, et est plus que d’actualité en cette période de Nîmes Open Game Art !
Chargement du jeu
Lorsque Roger CAILLOIS rédigea son œuvre, même les sphères les plus prospères du monde occidental n’étaient encore que très partiellement engagées dans ce que l’on a appelé quelques années plus tard la civilisation des loisirs. Le jeu, propre au monde enfantin et cantonné au seul temps libre (encore limité) des adultes, ne s’était pas encore totalement imposé à l’ensemble de la société.
Toutefois, l’importance du jeu avait déjà été soulignée dès 1938 par l’historien néerlandais Johann HUIZINGA, auteur d’Homo Ludens, auquel Roger CAILLOIS rend précisément hommage dès son introduction. Johann HUIZINGA sut magistralement définir l’importance sociale et psychologique du jeu, mais en se gardant toutefois bien de le décrire par l’entremise d’une typologie systématique. C’est de manière tout à fait explicite que Roger CAILLOIS se proposa de combler cette lacune.
L’ouvrage de Roger CAILLOIS, bien que court, est d’une telle richesse que toute tentative de le résumer exhaustivement semble vouée à l’échec. Qu’il suffise de dire que le coup de génie de Roger CAILLOIS fut d’élaborer une grille d’analyse des jeux d’une simplicité biblique, susceptible qui plus est de s’adapter à n’importe quelle activité ludique.
Lancement des paramètres
On peut synthétiser son système de la manière qui suit. Les actes ludiques sont classés en 4 grandes catégories :
-L’ALEA représente, comme sa dénomination l’indique, la notion de hasard, d’imprévu. Tous les jeux comportant une part de hasard relèvent de cette catégorie.
-L’AGÔN recouvre quant à lui la dimension…eh bien oui, agonistique ! C’est-à-dire tout ce qui relève de la compétition, dans un sens très large.
-Le MIMICRY est quant à lui le simulacre : tout ce qui consiste à faire semblant est rangé dans cette catégorie. Le jeu d’acteur est ainsi intégré dans l’univers du ludique.
-Enfin, l’ILINX recouvre le vertige, tout le ludique qui relève du coup d’adrénaline : le saut à l’élastique sans élastique est ainsi un exemple parfait d’ILINX extrême (et à effet unique, hélas).
Afin d’apporter une dimension complémentaire à ce classement, Roger CAILLOIS imagina de surcroît une ligne PAIDIA / LUDUS, dans laquelle la première occurrence distinguait un mode de jeu puéril et exubérant, le LUDUS présentant pour sa part une acception plus ordonnée et policé du jeu. Le saut suicidaire en élastique (sans élastique) que nous mentionnions à l’instant serait pour tout dire une manifestation (très, très) PAIDA d’une activité ludique ILINX qui exige pourtant beaucoup de LUDUS pour être menée avec rigueur et discipline (et c’est plus que préférable dans le cas du saut à l’élastique…).
Let’s play !
Dès à présent, vous en savez assez pour vous amuser à créer une classification des jeux (activité typiquement LUDUS, n’est-ce-pas ?!) en fonction de ces catégories et en les mixant entre eux au besoin !
Afin de vous donner quelques exemples, prenons un jeu de société, mettons un jeu de plateau. Bien qu’il existe des exceptions, un jeu de plateau est le plus souvent à la jonction d’ALEA (il y a du hasard !) et d’AGÔN (on cherche à écraser ses adversaires, à les pulvériser, à les réduire en poussière, à…enfin bref, à gagner, quoi !).
Continuons. Prenons une activité comme le jeu de rôles sur table : un exemple parfait d’ALEA (presque tous ces jeux recourent au hasard, par l’entremise de dés) et de MIMICRY (certaines parties ressemblent presque à du théâtre version Commedia dell’arte).
Et les jeux vidéo, qui occupent le devant de la scène en ce moment à Carré d’Art?
Ah ! Ah ! C’est là que ça se pimente. Les jeux vidéo comportent tant de sous-catégories que toute prétention à une classification générale relèverait de la cuistrerie prétentieuse. Certains jeux à la première personne, visant à décaniller tout ce qui bouge, relèvent de l’ILINX, mâtinée d’ALEA. Un jeu d’action en réseau visant à éliminer les adversaires comportera de son côté une composante majoritaire d’AGÔN. Et ainsi de suite.
The game is over
J’insiste : cette petite présentation ne fait qu’effleurer la richesse de l’œuvre de CAILLOIS, mais j’ose espérer qu’elle a le mérite de montrer sa principale qualité : celle de définir un cadre conceptuel pour ainsi dire parfait de l’activité ludique. Que l’on parvienne sans aucune difficulté, 60 ans après la rédaction de son texte, à ranger un type de jeu que Roger CAILLOIS n’aurait en son temps même pas su imaginer, c’est tout de même très fort !
Son œuvre présente aussi un autre intérêt, celui de montrer en creux à quel point nos sociétés sont entrées de plain-pied dans le monde du ludique en quelques décennies à peine. Ses tableaux d’activités ludiques de 1958 semblent bien vides comparé à ce que nous serions en mesure de présenter en 2017. Le jeu, dans toutes les acceptions du terme, fait désormais partie intégrante de nos vies.
Mais il convient de ne pas oublier que le jeu, pour Johann HUIZINGA comme pour Roger CAILLOIS, n’était qu’une parenthèse – certes une parenthèse enchantée, tout à fait indispensable aux hommes, mais une parenthèse tout de même. Le jeu revêt bien une fonction sociale et psychologique vitale, mais il n’est pas la vie elle-même.
Et c’est pour cela que le jeu est si important lorsqu’il ne s’impose pas à nous : le jeu est par excellence une activité gratuite, libre, dans laquelle chacun peut s’engager ou se désengager à sa guise, et projeter ce qu’il veut de son corps, de son esprit et de son âme.
En somme, le jeu, lorsqu’il est exercé sainement, est une activité d’individu libre – et c’est peut-être pour cela qu’il est aussi précieux…
Bruno B. Bibliothécaire
Les jeux et les hommes
Roger Caillois
Folio Essai 1991
emprunter Les jeux et les hommes à la bibliothèque
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