William GOLDING, Sa Majesté des Mouches
Lorsqu’on est adulte, et même si l’on ne travaille pas au contact du jeune public, on trouve le plus grand intérêt à parfois se replonger dans certains grands classiques proposés aux enfants. Un de ces grands classiques, que vous trouverez dans toutes les librairies et bibliothèques de France et de Navarre, c’est Sa Majesté des Mouches, de William GOLDING. Et pour tout vous dire, je m’en étonne encore régulièrement. Jugez plutôt…
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“Et on fait lire ça aux enfants??” m’exclamai-je, il y a quelques années de cela, alors que, n’étant plus en culottes courtes depuis bien longtemps déjà, je refermai mon exemplaire de « Sa Majesté des Mouches ».
Commentaire de vieux con impénitent? Peut-être, oui. Mais pas uniquement. Ce livre, publié en 1954 par un artiste vétéran de la Seconde guerre mondiale, était d’abord et avant tout destiné aux adultes. Ce n’est que progressivement que les éditions jeunesse s’en emparèrent, sans doute pour la raison très simple que les héros du roman étaient tous des enfants.
Cet état de fait n’est d’ailleurs pas allé sans provoquer quelques remous. Dans son remarquable Lunar Park en partie autobiographique, Brett Easton ELLIS poussait précisément des hauts cris en s’apercevant qu’on faisait lire ce roman à sa fille de 7 ans, alors que lui-même, adulte et écrivain professionnel, n’était pas certain d’en avoir saisi toute la complexité !
Pour être honnête, l’idée de base semble en effet s’adresser idéalement à un jeune public : durant la Seconde guerre mondiale, des jeunes Britanniques se retrouvent naufragés sur une île tropicale déserte, abandonnés à leur sort. Le début du roman demeure encore à peu près confortable. Le choc initial passé, les enfants d’organisent du mieux possible. Il y a un côté «grande aventure initiatique » qui paraît de prime abord plutôt sympathique, on n’est pas très loin du postulat de base de « Robinson Crusoë », croisé avec certains romans de Jules VERNE dans lesquels des enfants entreprenants et livrés à eux-mêmes se débrouillent ma foi plutôt bien.
Mais vous savez quoi ? Ça ne dure pas.
L’entente entre les enfants ne résiste en effet pas très longtemps. Si s’ébattre à longueur de journée dans la mer en mangeant de délicieux fruits tropicaux est un fantasme de travailleur avide de vacances paradisiaques, la réalité devient tout autre lorsque de très jeunes gens se retrouvent coincés sur une île déserte, sans personne pour les guider. Très vite, des conflits apparaissent. Certes, on peut les considérer comme la simple manifestation de heurts de personnalités différentes, et il y aurait du vrai à affirmer cela.
Mais la cause la plus vraie de la rapide descente aux enfers du groupe est en fait bien plus angoissante : tel est la pente naturelle de la nature humaine, dès lors que les règles communes de la société se dissolvent. En d’autres termes, lorsque la civilisation disparaît, la sauvagerie, la violence et l’irrationnel refont surface sans tarder, que vous soyez enfant ou adulte. Ce faisant, William GOLDING pulvérise sans merci toutes les conceptions rousseauistes du « bon sauvage ». Avant tout, le « bon sauvage » n’a jamais existé, les sociétés les plus primitives ne sont primitives que d’un point de vue scientifique et technologique, Claude LEVI-STRAUSS et Margaret MEAD ayant assez démontré à quel point elles pouvaient être aussi complexes que n’importe quelle autre société.
Quant aux « civilisés », lorsque leurs cadres s’effondrent, la chute est d’autant plus rapide qu’ils n’ont plus aucun point de repère au sein de leur nouvel environnement. Une idée que l’on retrouve d’ailleurs en arrière-plan dans presque tous les grands romans d’aventures de Jack LONDON. Le fait que l’environnement en question, sorte d’Eden biblique, soit un pays de de Cocagne au climat clément et aux ressources abondantes est révélateur en soi. Ni la faim, ni les éléments déchaînés, ni les bêtes sauvages – hormis ceux que leur imagination crée de toutes pièces – ne brisent ces enfants. C’est la nature humaine, et elle seule.
Ce roman fait sentir, en creux, à quel point une des plus grandes réussites de l’humanité fut de créer des sociétés viables. Certes, l’histoire enseigne à quel point beaucoup d’entre elles furent dures et injustes, mais encore et toujours l’humanité fut capable, aux prix d’efforts et de sacrifices immenses, d’en inventer de nouvelles, assurant à tout le moins que les gens ne s’entre-tueraient pas au moindre prétexte.
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“Please allow me to introduce myself…” - Rolling Stones, “Sympathy for the Devil”
“Et on fait lire ça aux enfants??” m’exclamai-je, il y a quelques années de cela, alors que, n’étant plus en culottes courtes depuis bien longtemps déjà, je refermai mon exemplaire de « Sa Majesté des Mouches ».
Commentaire de vieux con impénitent? Peut-être, oui. Mais pas uniquement. Ce livre, publié en 1954 par un artiste vétéran de la Seconde guerre mondiale, était d’abord et avant tout destiné aux adultes. Ce n’est que progressivement que les éditions jeunesse s’en emparèrent, sans doute pour la raison très simple que les héros du roman étaient tous des enfants.
Cet état de fait n’est d’ailleurs pas allé sans provoquer quelques remous. Dans son remarquable Lunar Park en partie autobiographique, Brett Easton ELLIS poussait précisément des hauts cris en s’apercevant qu’on faisait lire ce roman à sa fille de 7 ans, alors que lui-même, adulte et écrivain professionnel, n’était pas certain d’en avoir saisi toute la complexité !
Pour être honnête, l’idée de base semble en effet s’adresser idéalement à un jeune public : durant la Seconde guerre mondiale, des jeunes Britanniques se retrouvent naufragés sur une île tropicale déserte, abandonnés à leur sort. Le début du roman demeure encore à peu près confortable. Le choc initial passé, les enfants d’organisent du mieux possible. Il y a un côté «grande aventure initiatique » qui paraît de prime abord plutôt sympathique, on n’est pas très loin du postulat de base de « Robinson Crusoë », croisé avec certains romans de Jules VERNE dans lesquels des enfants entreprenants et livrés à eux-mêmes se débrouillent ma foi plutôt bien.
Mais vous savez quoi ? Ça ne dure pas.
« Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles » - Paul VALERY, « Variété 1 ».
L’entente entre les enfants ne résiste en effet pas très longtemps. Si s’ébattre à longueur de journée dans la mer en mangeant de délicieux fruits tropicaux est un fantasme de travailleur avide de vacances paradisiaques, la réalité devient tout autre lorsque de très jeunes gens se retrouvent coincés sur une île déserte, sans personne pour les guider. Très vite, des conflits apparaissent. Certes, on peut les considérer comme la simple manifestation de heurts de personnalités différentes, et il y aurait du vrai à affirmer cela.
Mais la cause la plus vraie de la rapide descente aux enfers du groupe est en fait bien plus angoissante : tel est la pente naturelle de la nature humaine, dès lors que les règles communes de la société se dissolvent. En d’autres termes, lorsque la civilisation disparaît, la sauvagerie, la violence et l’irrationnel refont surface sans tarder, que vous soyez enfant ou adulte. Ce faisant, William GOLDING pulvérise sans merci toutes les conceptions rousseauistes du « bon sauvage ». Avant tout, le « bon sauvage » n’a jamais existé, les sociétés les plus primitives ne sont primitives que d’un point de vue scientifique et technologique, Claude LEVI-STRAUSS et Margaret MEAD ayant assez démontré à quel point elles pouvaient être aussi complexes que n’importe quelle autre société.
Quant aux « civilisés », lorsque leurs cadres s’effondrent, la chute est d’autant plus rapide qu’ils n’ont plus aucun point de repère au sein de leur nouvel environnement. Une idée que l’on retrouve d’ailleurs en arrière-plan dans presque tous les grands romans d’aventures de Jack LONDON. Le fait que l’environnement en question, sorte d’Eden biblique, soit un pays de de Cocagne au climat clément et aux ressources abondantes est révélateur en soi. Ni la faim, ni les éléments déchaînés, ni les bêtes sauvages – hormis ceux que leur imagination crée de toutes pièces – ne brisent ces enfants. C’est la nature humaine, et elle seule.
« Ils avaient été des dieux ailés : ils devinrent des démons aux ailes rognées » - Robert E HOWARD, « La reine de la Côte noire »
Ce roman fait sentir, en creux, à quel point une des plus grandes réussites de l’humanité fut de créer des sociétés viables. Certes, l’histoire enseigne à quel point beaucoup d’entre elles furent dures et injustes, mais encore et toujours l’humanité fut capable, aux prix d’efforts et de sacrifices immenses, d’en inventer de nouvelles, assurant à tout le moins que les gens ne s’entre-tueraient pas au moindre prétexte.
Une anecdote, qui n’en est pas vraiment une, car elle est plus que révélatrice. En 1963, Peter BROOK signa une adaptation très réussie du roman, ce qui est une forme d’exploit au vu de la difficulté du sujet. Dans un commentaire audio de l’édition DVD, il porta à l’attention du spectateur une des scènes du film, dans laquelle les enfants acteurs devaient mimer la chute dans la sauvagerie absolue, avant de sacrifier l’un des leurs. Avec beaucoup d’honnêteté, il relata à quel point la situation avait été à deux doigts de lui échapper, et que les enfants avaient failli devenir réellement incontrôlables à ce moment-là, malgré tous les garde-fous qu’il avait mis en place et la présence de l’équipe de tournage. Et Peter BROOK de faire remarquer que, selon lui, William GOLDING avait au final fait preuve d’un certain optimisme dans son analyse de la régression vers la sauvagerie…
Roman d’aventure et d’initiation, roman à thèses, réflexion philosophique et presque métaphysique sur la condition humaine…assurément, on n’est pas dans le livre destiné a priori aux enfants ! En pourtant, à la réflexion, on a raison de le leur faire lire. Car les enfants d’aujourd’hui seront les adultes de demain, et tout ce qui peut nourrir leur intelligence et leur sensibilité est à favoriser. Oui, ce livre est noir, dur, sans concession. Oui, bien des choses échapperont au jeune lecteur (ou au moins jeune, à vrai dire). Mais ça n’a que peu d’importance. Car le message ultime du roman est en vérité très simple : il est de notre responsabilité, à tous, quel que soit notre âge ou notre sexe, quelles que soient nos capacités et nos convictions, de préserver le monde que nous ont légué les générations précédentes, et de faire tout notre possible pour en léguer un meilleur à la génération qui nous succédera.
Bruno B.
Roman d’aventure et d’initiation, roman à thèses, réflexion philosophique et presque métaphysique sur la condition humaine…assurément, on n’est pas dans le livre destiné a priori aux enfants ! En pourtant, à la réflexion, on a raison de le leur faire lire. Car les enfants d’aujourd’hui seront les adultes de demain, et tout ce qui peut nourrir leur intelligence et leur sensibilité est à favoriser. Oui, ce livre est noir, dur, sans concession. Oui, bien des choses échapperont au jeune lecteur (ou au moins jeune, à vrai dire). Mais ça n’a que peu d’importance. Car le message ultime du roman est en vérité très simple : il est de notre responsabilité, à tous, quel que soit notre âge ou notre sexe, quelles que soient nos capacités et nos convictions, de préserver le monde que nous ont légué les générations précédentes, et de faire tout notre possible pour en léguer un meilleur à la génération qui nous succédera.
« (Le Créateur à Adam) : En faisant de toi un être qui n’est ni céleste ni terrestre, ni mortel ni immortel, j’ai voulu te donner le pouvoir de te former et de te vaincre toi-même ; tu peux descendre jusqu’au niveau de la bête, et tu peux t’élever jusqu’à devenir un être divin. […] Toi seul, tu peux grandir et te développer comme tu veux, tu as en toi les germes de la vie sous toutes ses formes ».
Pic DE LA MIRANDOLE
Bruno B.
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