Frank Miller (1/3) : Daredevil

« J'ai bâti un empire sur le péché humain. Les bons comme les méchants me craignent. Les politiciens m'obéissent au doigt et à l'oeil. Tout comme les proxénètes et les dealers. J'ai toujours eu TOUT ce que je désirais......jusqu'au jour où je t'ai rencontrée... »
Frank MILLER / Bill SIENKIEWICZ, Love & War





Guerre des Gangs


Lorsque qu'en 1978 les éditeurs de Marvel Comics choisirent de confier la série Daredevil au tout jeune (22 ans!) Frank Miller, contrairement aux apparences ils ne prirent en fait aucun risque.
En effet, Daredevil était à cette époque un personnage de 3ème catégorie, Matt Murdock, un avocat déguisé en diable qui cognait régulièrement des minables costumés dans le quartier de Hell's Kitchen (New York).
Malgré le passage de quelques bons auteurs sur le personnage depuis sa création en 1964, la série ne présentait pas un grand intérêt, et de fait ne se vendait pas bien. Le choix d'un jeune auteur prometteur ne pouvait donc faire aucun mal.
Le moins que l'on puisse dire est que les éditeurs de l'époque ne manquaient pas de flair : Frank Miller, comme il ne cessa de le faire durant toute sa carrière, dynamisa la série au point que Daredevil devint un personnage de premier plan, et le demeure aujourd'hui encore.

Très vite seul maître à bord (scénario et dessin, assisté uniquement par le très solide dessinateur / encreur Klaus JANSON), Frank Miller fit en quelques mois, systématiquement, ce que le romancier Dashiell HAMMETT avait fait dans les années 20 avec le roman policier – pour reprendre les mots de Raymond CHANDLER : « Il avait saisi le vase vénitien, et l'avait jeté dans la rue ».
C'est très précisément ça. Miller, grand fan de roman noir, amalgama sans hésiter le genre super-héroïque (super-pouvoirs, personnages plus grands que nature, exploits héroïques) et le polar (enquêtes, policières, réalisme, violence, ambiance hard boiled).

Le résultat fut stupéfiant, et stupéfia d'ailleurs le lectorat du début des années 80.
L'aspect super-héroïque fut réduit aux seuls exploits des protagonistes. Pour le reste, on était plongé dans l'univers de New York, qui était en ce temps une des villes les plus violentes des Etats-Unis, et dont la tristement célèbre 42ème Rue était l'étendard souillé. Guerre des gangs, amours douloureuses, violence, toxicomanie...Daredevil se distinguait radicalement des autres séries de super-héros, encore trop souvent simplettes et édulcorées (si vous en avez l'occasion, feuilletez donc quelques vieux numéros de Strange de l'époque, qui comportaient 4 histoires de séries différentes dans chaque numéro. Eh bien, le contraste entre Daredevil et les autres séries donne juste le tournis...). 






Born Again


Mais l'apport de Miller ne fut pas que scénaristique. Graphiquement, il sut innover dès les premiers épisodes de la série : bandes verticales ou horizontales très rapprochées afin de suggérer une situation d'urgence, gros plans répétés, narratif élaboré réparti dans la planche...aucun de ses « trucs » n'était absolument neuf en 1978, mais il fut le premier à les systématiser et à en tirer tout le parti narratif.

Cette capacité à innover ne venait pas de nulle part. Miller, bien qu'Américain pur jus, s'intéressait activement à la BD étrangère : bon connaisseur de la BD européenne (Hugo Pratt en particulier), il fut surtout un précurseur de par sa connaissance du manga, totalement ignoré aux Etats-Unis au début des années 80. Ainsi, il fut le « decouvreur » de la remarquable série « Lone Wolf and Cub », de KOJIMA et KOIKE, qu'il contribua à faire connaître dans son pays.

C'est pour cette raison que, dès 1981, il entama un nouveau virage : tout en continuant sur sa lancée, il entreprit d'intégrer dans la série une ambiance plus asiatique, où tueurs ninjas et sociétés secrètes vinrent se greffer sur un environnement new-yorkais par ailleurs très réaliste.
Si certains épisodes de cette période paraissent un peu décalés de nos jours, c'est pourtant à cette occasion qu'il créa LE personnage emblématique et archétypal de Miller : la tueuse à gages Elektra Natchios.
Elektra, ancienne amante du super-héros, se retrouva confrontée à Daredevil au cours de superbes épisodes dans lesquels les deux protagonistes oscillaient entre amour et haine (un bon conseil, tout de même : si une femme vous passe à tabac, vous assomme à deux reprises à coups de matraque, vous immobilise avec un piège à ours et pour faire bonne figure vous fait dégringoler un mur sur la tête...maquez-vous avec une nana moins violente!!).

L'intérêt de Miller pour l'Asie l'amena d'ailleurs à arrêter en 1982 sa contribution à un Daredevil artistiquement et financièrement remis sur les rails, pour se consacrer à sa mini-série Ronin (1984).
Mais il ne cessa jamais vraiment de revenir sur le personnage. En 1986, il effectua son grand retour en écrivant la mini-série Born Again (Renaissance), en compagnie du brillant David MAZZUCHELLI au dessin, et futur collaborateur de Miller sur Batman : Year One.
Sept épisodes magnifiques, secs comme un coup de trique, faisant passer les précédents  épisodes de Daredevil pour un rêve de jeune fille. Le personnage, trahi, déchu, désespéré, n'est plus qu'une loque perdue et aux abois, pris dans une descente aux enfers inéluctable, dont il ne sort que par une authentique renaissance lui faisant changer totalement de vie et d'optique, et assumer son amour pour une femme (une ex-junkie et ex-actrice de films pornographiques extrêmes qui l'a trahi pour une dose de came, OK. Mais elle ne lui tape pas dessus, donc il y a une forme de mieux!).






Love & War


Miller réalisa encore 3 contributions au personnage entre 1986 et 1994 :

-Love and War, un one-shot, fut rédigé dans la foulée de Born Again, aux thèmes assez proches. Comme son titre l'indique assez (Guerre & Amour), l'amour est la clef d'une histoire où la partie super-héroique du récit est réduite à la portion congrue. Elle est magnifiquement illustrée par le trop rare Bill SIENKIEWICZ, futur dessinateur du Elektra Assassin de Miller.

-Elektra Lives Again fut écrit au cours de la même période, mais publié seulement en 1990.
Dessinée par un Miller en pleine possession de ses moyens, et coloriée avec goût par sa compagne Lynn VARLEY, c'est probablement son oeuvre la plus sombre et dépressive, Matt Murdock/Daredevil étant hanté par le fantôme de la défunte Elektra (qui même ainsi continue de lui cogner dessus – quelqu'un pourrait-il ENFIN appeler la police, SVP??).

-Enfin, dans un registre beaucoup plus mainstream, Miller scénarisa en 1993-1994 L'homme sans peur, qui réécrivait les origines de Daredevil (démarche similaire à Batman : Year One, dans un registre plus classique cependant). Mini-série très sympathique, L'homme sans peur est surtout un bon prétexte au dessinateur-vedette John Romita Jr de produire quelques planches bluffantes.

A de rares exceptions près, l'ensemble des oeuvres citées viennenent d'être rééditées en France dans la collection « Marvel Icons ». Elles donnent une idée du talent de Miller, ainsi que de l'effervescence du monde des comics dans les années 80 et 90.


(to be continued...)


Bruno B. , bibliothécaire

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