« Mort à Venise », de Luchino VISCONTI
« Mort à Venise », de Visconti, est l’exemple d’une osmose entre la littérature, l’image et la musique parmi les plus abouties de toute l’histoire du 7ème art.
Une nouvelle de Thomas Mann
Adaptée au cinéma par Luchino Visconti
Tout d’abord, il n’y a rien.
Et puis, quelques notes de musique, ténues à en être presque inaudibles. Le générique apparaît à l’écran, épuré à l’extrême. Il défile lentement, et la musique enfle petit à petit, s’infusant dans le corps et l’esprit. Les premières images apparaissent, formes fantomatiques surgissant de la mer et du ciel, comme créées par la mélodie elle-même.
Un léger frisson vous parcourt l’échine. Le film vient à peine de débuter que vous êtes comme hypnotisé par les sons et les images, comme envoûté comme par un moderne chant des sirènes.
Vous venez de commencer à regarder « Mort à Venise », un film à nul autre comparable...
« Mort à Venise », c’est à l’origine une longue nouvelle rédigée en, 1912 par Thomas Mann, un des plus grands écrivains de langue allemande du XXème siècle.
Presque 60 ans plus tard, en 1971, Luchino Visconti, au sommet de son art, en réalisait son adaptation cinématographique.
L’histoire ? Elle n’est en somme qu’un prétexte.
Résumée à l’extrême, on peut la décrire comme suit : Gustav von Aschenbach, un artiste vieillissant venu en villégiature à Venise, s’éprend d’un jeune homme, avant de mourir de maladie quelques jours plus tard.
Le principal n’est pas là.
«Mort à Venise », c’est, au choix, une tragédie grecque transportée au début du XXème siècle, ou une fable pour adultes. Ou encore autre chose, tellement le film est indéfinissable et sujet à interprétation.
Ce qu’on peut en dire de manière certaine, c’est que son véritable argument tourne autour de l’art. Gustav von Aschenbach, le héros interprété par le talentueux Dirk Bogarde, est un artiste reconnu et respecté, ardent défenseur d’une éthique de l’art exigeante, mais qui, arrivé à l’âge mûr, se retrouve dans une profonde impasse créatrice. Son séjour à Venise, qui lui fera prendre conscience de l’inanité de sa démarche artistique, et donc de son existence entière, lui sera en définitive fatal.
Ce thème, omniprésent mais rarement explicité, que ce soit dans la nouvelle ou le film, n’est à première vue pas d’un abord facile. Mais, et c’est là que le talent de Visconti fait la différence, le film sublime à proprement parler la nouvelle austère de Thomas Mann.
Car le plaisir qu’on a à le regarder réside avant tout dans le fait d’assister à une magistrale reconstitution d’époque : la haute société d’il y a un siècle est ainsi dépeinte dans toute sa beauté, mais aussi dans sa totale inanité.
Le palace dans lequel se déroule la plus grande part de l’action n’est que chatoiement de couleurs, bruissement d’étoffes rares, chuchotements délicats de l’élite raffinée qui présidait au destin de l’Europe au cours des premières années du XXème siècle. Un univers discret, prospère, civilisé à l’extrême, mais presque totalement coupé des réalités. Un milieu dont était originaire Visconti lui-même, et qu’il dépeint avec une nostalgie critique qui n’est pas sans rappeler celle de Stefan Zweig dans « Le monde d’hier ».
Alors que l’artiste décrit dans la nouvelle de Thomas Mann n’était que très lointainement inspiré de Mahler, Visconti se décida pour deux partis-pris artistiques.
Le premier, que le héros serait bel et bien un quasi-décalque de Mahler.
Le second, que son œuvre musicale composerait la bande originale du film : la musique envoûtante que l’on entend dès le commencement, et qui revient tel un leitmotiv, n’est autre que l’adagietto de la 5ème symphonie de Mahler.
A la fois très ancré dans une réalité concrète et en même temps presque intemporel, « Mort à Venise » est le témoignage poétique de l’agonie d’un monde et d’une époque, que la mort de Gustav von Aschenbach ne fait qu’annoncer de manière prémonitoire.
Le film est également le fossoyeur, délicat mais implacable, de toutes les illusions sur le rôle de l’art. L’art n’entretient aucun rapport avec une éthique quelconque. La probité individuelle n’est en rien le gage d’une production artistique réussie. Cette conception des choses ne fait que vous éloigner du réel, qui un jour viendra vous présenter l’addition – et elle sera exorbitante.
Visconti, qui avait été témoin de deux guerres mondiales et de vingt ans de fascisme, pulvérise sans merci les illusions qu’un Thomas Mann pouvait encore entretenir soixante ans plus tôt sur le sujet.
Dit comme ça, le constat peut sembler bien amer…
Et pourtant, si l’on y regarde de plus près, il est aussi porteur d’espoir : car en définitive Gustav von Aschenbach a fait preuve de ce que les anciens Grecs nommaient l’hubris : la démesure. N’acceptant pas sa nature d’individu limité et imparfait, il a fini par se détruire lui-même, vaincu par sa propre conception erronée du monde.
Un être humain, qu’il soit artiste ou non, doit accepter de se colleter courageusement avec le réel, sans renoncer à son âme, mais sans prétendre que l’univers qui l’entoure est autre chose que ce qu’il est.
Visconti, avec son « Mort à Venise », en apporte au final la démonstration magistrale.
Bruno
Une nouvelle de Thomas Mann
Adaptée au cinéma par Luchino Visconti
Tout d’abord, il n’y a rien.
Et puis, quelques notes de musique, ténues à en être presque inaudibles. Le générique apparaît à l’écran, épuré à l’extrême. Il défile lentement, et la musique enfle petit à petit, s’infusant dans le corps et l’esprit. Les premières images apparaissent, formes fantomatiques surgissant de la mer et du ciel, comme créées par la mélodie elle-même.
Un léger frisson vous parcourt l’échine. Le film vient à peine de débuter que vous êtes comme hypnotisé par les sons et les images, comme envoûté comme par un moderne chant des sirènes.
Vous venez de commencer à regarder « Mort à Venise », un film à nul autre comparable...
Une nouvelle exigeante, écrite au début du XXème siècle.
« Mort à Venise », c’est à l’origine une longue nouvelle rédigée en, 1912 par Thomas Mann, un des plus grands écrivains de langue allemande du XXème siècle.
Presque 60 ans plus tard, en 1971, Luchino Visconti, au sommet de son art, en réalisait son adaptation cinématographique.
L’histoire ? Elle n’est en somme qu’un prétexte.
Résumée à l’extrême, on peut la décrire comme suit : Gustav von Aschenbach, un artiste vieillissant venu en villégiature à Venise, s’éprend d’un jeune homme, avant de mourir de maladie quelques jours plus tard.
Le principal n’est pas là.
« Mort à Venise » : la description mélancolique de la fin d’un monde.
«Mort à Venise », c’est, au choix, une tragédie grecque transportée au début du XXème siècle, ou une fable pour adultes. Ou encore autre chose, tellement le film est indéfinissable et sujet à interprétation.
Ce qu’on peut en dire de manière certaine, c’est que son véritable argument tourne autour de l’art. Gustav von Aschenbach, le héros interprété par le talentueux Dirk Bogarde, est un artiste reconnu et respecté, ardent défenseur d’une éthique de l’art exigeante, mais qui, arrivé à l’âge mûr, se retrouve dans une profonde impasse créatrice. Son séjour à Venise, qui lui fera prendre conscience de l’inanité de sa démarche artistique, et donc de son existence entière, lui sera en définitive fatal.
Ce thème, omniprésent mais rarement explicité, que ce soit dans la nouvelle ou le film, n’est à première vue pas d’un abord facile. Mais, et c’est là que le talent de Visconti fait la différence, le film sublime à proprement parler la nouvelle austère de Thomas Mann.
Car le plaisir qu’on a à le regarder réside avant tout dans le fait d’assister à une magistrale reconstitution d’époque : la haute société d’il y a un siècle est ainsi dépeinte dans toute sa beauté, mais aussi dans sa totale inanité.
Le palace dans lequel se déroule la plus grande part de l’action n’est que chatoiement de couleurs, bruissement d’étoffes rares, chuchotements délicats de l’élite raffinée qui présidait au destin de l’Europe au cours des premières années du XXème siècle. Un univers discret, prospère, civilisé à l’extrême, mais presque totalement coupé des réalités. Un milieu dont était originaire Visconti lui-même, et qu’il dépeint avec une nostalgie critique qui n’est pas sans rappeler celle de Stefan Zweig dans « Le monde d’hier ».
La vie romancée de Gustav Mahler.
Par ailleurs, Visconti eut l’excellente idée de lier le thème du film avec la vie et l’œuvre du compositeur Gustav Mahler.
Alors que l’artiste décrit dans la nouvelle de Thomas Mann n’était que très lointainement inspiré de Mahler, Visconti se décida pour deux partis-pris artistiques.
Le premier, que le héros serait bel et bien un quasi-décalque de Mahler.
Le second, que son œuvre musicale composerait la bande originale du film : la musique envoûtante que l’on entend dès le commencement, et qui revient tel un leitmotiv, n’est autre que l’adagietto de la 5ème symphonie de Mahler.
A la fois très ancré dans une réalité concrète et en même temps presque intemporel, « Mort à Venise » est le témoignage poétique de l’agonie d’un monde et d’une époque, que la mort de Gustav von Aschenbach ne fait qu’annoncer de manière prémonitoire.
L’art et la vie…
Le film est également le fossoyeur, délicat mais implacable, de toutes les illusions sur le rôle de l’art. L’art n’entretient aucun rapport avec une éthique quelconque. La probité individuelle n’est en rien le gage d’une production artistique réussie. Cette conception des choses ne fait que vous éloigner du réel, qui un jour viendra vous présenter l’addition – et elle sera exorbitante.
Visconti, qui avait été témoin de deux guerres mondiales et de vingt ans de fascisme, pulvérise sans merci les illusions qu’un Thomas Mann pouvait encore entretenir soixante ans plus tôt sur le sujet.
Dit comme ça, le constat peut sembler bien amer…
Et pourtant, si l’on y regarde de plus près, il est aussi porteur d’espoir : car en définitive Gustav von Aschenbach a fait preuve de ce que les anciens Grecs nommaient l’hubris : la démesure. N’acceptant pas sa nature d’individu limité et imparfait, il a fini par se détruire lui-même, vaincu par sa propre conception erronée du monde.
Un être humain, qu’il soit artiste ou non, doit accepter de se colleter courageusement avec le réel, sans renoncer à son âme, mais sans prétendre que l’univers qui l’entoure est autre chose que ce qu’il est.
Visconti, avec son « Mort à Venise », en apporte au final la démonstration magistrale.
Bruno
Bel article. Un chef d'oeuvre en effet. Magnifique allégorie de l'artiste ne pouvant (ne voulant?) atteindre la perfection.
RépondreSupprimerPorteur d'espoir? Je ne sais...J'y vois plutôt le désespoir de ne pas oser aller jusqu'au bout de nos rêves voire de nos désirs les plus secrets... Les dernières images montrent Tadzio esquissant de sa main le signe ok, mais il est trop tard pour Aschenbach...: il n'a pas osé ...Osé d'être lui-même peut-être...
Eric