Ursula LE GUIN, Terremer : l’intégrale

Il y a un an décédait Ursula LE GUIN.
Avec elle disparaissait un des plus grands noms de la littérature de l'imaginaire, qui avait su imposer une petite musique littéraire d'une immense sensibilité, sans interruption depuis les années 1960.


 

"Les choses changent..."*

La plupart des hommages qui lui furent rendus employèrent l'expression de "grande dame". Grande dame elle fut assurément! Bien qu'en la voyant sur les dernières photographies la représentant à la fin de sa vie, frêle dame âgée et ridée comme une pomme parvenue à maturité, l'expression puisse faire sourire. Mais je vous dois un aveu : en apprenant la nouvelle de sa mort, je n'ai pas vraiment eu envie de sourire. Pas le moins du monde, en fait.

Car, si comme beaucoup d'amateurs de fantasy, je suis venu dans ce genre suite à un choc littéraire, le choc en question ne fut pas provoqué, comme ce fut très souvent le cas, par JRR TOLKIEN. Par les hasards d'un itinéraire somme toute assez rare, c'est grâce à Madame LE GUIN et à son Sorcier de Terremer qu'il se produisit. Et lorsque je vis arriver une intégrale reprenant la totalité de ses écrits sur le monde de Terremer, je sus qu'il m'était échu, à moi aussi, à mon minuscule niveau, de rendre hommage à celle qui m'avait introduit - et avec quel talent! - dans l'univers de l'imaginaire infini.

Car il ne faut pas perdre de vue que si je rends aujourd'hui hommage à l'auteur de fantasy, Ursula LE GUIN fut bien loin de s'y cantonner!! Littérature classique  (Malafrena), science-fiction (La main gauche de la nuit), ethnologie-fiction (La vallée de l'éternel retour), mythologie-fiction (Lavinia) et œuvres pour la jeunesse (Loin, très loin de tout)...l'étendue de son talent était réellement époustouflant, et elle n’a en somme commis que très peu d'œuvres mineures au cours de sa carrière.

"...Il faut parfois se méfier des auteurs et des sorciers..."*

Le cycle de Terremer représente 40 ans d'écriture, presque la moitié de l'existence d'Ursula LE GUIN, et se déroule dans l'univers éponyme, le plus étendu qu'elle ait créé, ex aequo avec l'Ekumen dans lequel se situent ses oeuvres de science-fiction. Il comporte 5 romans et un recueil de nouvelles, tous témoignages éloquents, non seulement du talent de son auteur, mais aussi de son évolution intime. Le sorcier de Terremer était la brillante relation d'un parcours initiatique, mais demeurait encore un peu teintée de l'univers de TOLKIEN. Alors que le dernier tome, Le vent d'ailleurs, était un peu la somme de l'itinéraire artistique et intellectuel d'Ursula LE GUIN.

Terremer, c'est un gigantesque archipel dont la carte vous saute aux yeux dès l'ouverture du premier livre de la série. Un monde où terre et eau ne sont jamais loin l'un de l'autre...d'où le nom même de l'univers! Et aussi (surtout?) un monde régi par la magie. Une magie subtile à vrai dire, déterminée par la connaissance du vrai nom de chaque chose. Ce dernier point est crucial : la magie n'est ni bonne ni mauvaise, mais représente une force monumentale qui ne peut être canalisée que par la connaissance intime de son fonctionnement et le sens des responsabilités de celui qui y recourt. On pourrait de ce fait imaginer un univers stronger than life, plein de bruit et de fureur, et pourtant on en est très loin. Il n’y a que peu d’action épique dans «Terremer ». Si action il y a, elle est intimiste, à bas bruit, distillée par petites touches. Il y a bien une action, il y a bien un univers (d'ailleurs développé dans certains textes spécifiques quasi ethnologiques), mais ce qui intéressait vraiment Ursula LE GUIN, c'était les gens.

"...Nul ne saurait expliquer un dragon"*


 Existe-t-il une "écriture féminine"? Sans doute pas, et Ursula LE GUIN ne le croyait pas elle-même. Toutefois, il est incontestable que le cycle de Terremer, comparé à d'autres grands textes de fantasy, a un ton très particulier. Moins hiératique que TOLKIEN, moins picaresque que VANCE ou LEIBER, moins épique que MOORCOCK. Mais il y a un point de vue clairement féminin (voire féministe?) chez Ursula LE GUIN, particulièrement perceptible dans certains ouvrages du cycle de Terremer : impossible de s'y tromper en lisant Tehanu, celui de ses romans dans lequel sa démarche artistique transparaissait de la manière la plus nette. 


C'est aussi en cela que LE GUIN fut un auteur aussi passionnant. Née en 1929, elle se mit à écrire dans les années 60, à un moment où elle ne disposait de quasiment aucun référent féminin. Avant elle il y avait certes eu de brillants auteurs féminins de SF ou de fantasy, à l'instar de Catherine MOORE ou de Leigh BRACKETT, mais malgré leur indéniable talent, ces dernières s'étaient en définitive coulées dans des schémas masculins (héros masculins ou héroïnes testostéronées). 

C'est réellement à partir de LE GUIN et des auteurs de sa génération que les littératures de l'imaginaire commencèrent à être investies par des femmes écrivant avec un point de vue de femme assumé : que l'on pense à Marion Zimmer BRADLEY ou à Anne MAC CAFFREY. Dans le cas de LE GUIN, c'est à partir du second volume de Terremer, Les tombeaux d'Atuan, que cette différence commença à devenir patente, avec le personnage de Tenar. 


Avec le recul du temps, j'en suis venu à considérer que débuter mon cheminement littéraire avec Ursula LE GUIN avait représenté une chance - j'oserais même dire un privilège.
Madame LE GUIN, je m'autorise un bref message personnel. A vous qui fûtes la Galadriel de la littérature, et peu importe si vous avez ou non fini par rejoindre les majestueux dragons partis dans le grand Ouest, je tenais juste à vous dire ceci : MERCI!


*Recommandations ouvrant le recueil de nouvelles Les contes de Terremer.
Elle avait raison vous savez : les auteurs sont toujours dangereux!
Quant aux dragons et aux sorciers, hum! j'ai toujours préféré éviter cette engeance-là!!!



Bruno B. Bibliothécaire

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Terremer
Ursula K. Le Guin
R. Laffont, 2007

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