France, le moment politique

«  Wouahouh ! » Voici en substance l’exclamation qui est sortie de mes lèvres au moment de refermer l’essai de l’économiste Hervé JUVIN. « Que voici un livre stimulant ! » fut la première pensée rationnelle qui me traversa l’esprit dans la foulée. Et c’est vrai. Tranchant avec une production éditoriale qui, pour brillante qu’elle soit le plus souvent, n’en est pas moins bien déprimante en règle générale, « France, le moment politique » est une vraie bouffée d’oxygène !



Le constat

Nous avons la chance de connaître, ces dernières années, une production éditoriale, française comme européenne, d’une grande qualité. On ne peut que s’en féliciter ! De grands essais paraissent presque quotidiennement, qui abordent les questions politiques, écologiques, sociales et sociétales les plus importantes. Ils sont souvent bien documentés, innovants et lucides. Mais le reproche que l’on peut faire à la plupart d’entre eux, c’est qu’ils n’offrent qu’un constat froid et sans aucune perspective. Bien entendu, les auteurs sont le plus souvent des journalistes ou des universitaires, qui ne se sentent pas légitimés à émettre un véritable programme d’action. Et pourtant ! le hiatus est désormais tel entre le foisonnement intellectuel que nous connaissons présentement, et une offre politique française dont le moins que l’on puisse en dire est qu’elle n’est pas à la hauteur des circonstances, qu’il fallait bien que quelqu’un s’y collât tôt ou tard ! Hervé JUVIN s’y est employé, qu’il en soit remercié !

Ce n’est pas qu’il établisse un constat bien différent de tant de ses contemporains. Les difficultés que rencontre la France de 2018 ne sont pas mineures : problème écologique, question migratoire, difficultés économiques, anomie grandissante de la population… Sans en faire le recensement systématique dans son ouvrage, Hervé JUVIN n’en balaie pas moins les principaux défis modernes qui se posent à nous. Et, à chacun de ses défis, s’efforce d’y apporter des éléments de réponse. Le foisonnement d’idées qui en résulte donne parfois le tournis ! La plus grande part des 250 pages de l’essai est consacrée à l’exposé de ses préconisations. Bien entendu, il s’agit le plus souvent de pistes plus que d’actions clef en main. Il n’en demeure pas moins que l’effort est impressionnant.

La racine du mal

Il est impossible, dans les limites de ce billet, de lister l’intégralité des suggestions d’Hervé JUVIN. Mais elle laissent apparaître en creux la tare n°1 à laquelle est confrontée la France contemporaine : l’abandon de la France. Précisons-le d’emblée afin d’éviter tout procès d’intention, son propos n’est en aucun cas de se replier frileusement derrière des frontières bunkerisées – c’est même tout le contraire. Son postulat peut se résumer de la manière qui suit : les Etats-Nations sont de retour ; la France a passé ces 30 dernières années à ne pas vouloir exister ; il lui faudra avant tout sortir de son semi-coma afin d’exister de nouveau, sur son sol comme au sein du concert des Nations.

La racine du mal, en effet, paraît résider dans le processus initié au début des années 90, au moment de la chute du bloc soviétique. Souvenez-vous ! Régnait alors l’idée selon laquelle les Nations viendraient à s’effacer à court ou moyen terme, sous l’action conjointe d’une économie libérale infaillible et du droit international, le tout sous l’égide bienveillant d’Etats-Unis veillant sur la bonne marche du monde. Il n’aura échappé à personne que ce doux rêve est bien loin de s’être concrétisé ! Mais la conséquence pour beaucoup de pays qui ont cru à ces fables - et la France y crut passionnément ! - fut de dissoudre sa souveraineté dans l’aventure européenne. Cette dernière, au lieu de fédérer les forces de tous les pays,  ce qui aurait justifié l’existence de l’Union Européenne, ne fit en définitive que les mettre en concurrence. Un exemple parmi 100, il n’est que d’observer les trajectoires économiques des différents pays de l’Union après l’introduction de l’Euro pour se faire une idée précise de l’étendue de la catastrophe.


Hervé Juvin ©RFI


Les remèdes

Sans rentrer dans les détails des préconisations de l’auteur, le remède principal tient en quelques mots : que la France récupère sa souveraineté (et que ses voisins européens fassent de même pendant qu’on y est) ! En effet, Hervé JUVIN tape juste lorsqu’il réaffirme le rôle prédominant de la politique. Pour une Nation qui, à l’instar de la France, est une pure construction politique, seule le retour affirmé de la politique peut la sortir de l’ornière. Et qui dit politique dit affirmation de sa souveraineté. En particulier, refus de toute immixtion étrangère dans notre politique - ce que par exemple ne nous permet pas notre positionnement au sein du commandement intégré de l’OTAN, dominé par les USA. Egalement refus d’une dette possédée presque exclusivement par les marchés financiers internationaux, ce qui impliquerait de nous auto-financer, à l’instar de ce qui se pratiquait avant 1973. Et ainsi de suite. 

Mais il ne se contente pas de proposer une vision défensive de la souveraineté. Il insiste au contraire sur le nécessaire renforcement de notre système de Sécurité Sociale, ou encore sur l’implication souhaitable des Français dans leur économie, par l’entremise du secteur coopératif en particulier. En règle générale, il met en avant tout de qui pourrait simultanément renforcer la sécurité (physique, matérielle, morale) du citoyen, et lui donner les moyens d’avoir un poids réel sur la bonne marche de son pays. En d’autres termes, il préconise de développer tout ce qui permettrait à chaque Français de jouer pleinement son rôle de citoyen et de s’impliquer activement dans les affaires de la Nation. Il est peu de dire que cette perspective est stimulante !


Pour être tout à fait juste, quelques remarques peuvent tout de même être formulées au sujet de son travail. Le style enlevé et lyrique rend la lecture très agréable, mais noie parfois un propos qui mériterait plus de sobriété. De plus, dans le lot, certaines de ses propositions peuvent se discuter. Ainsi, il estime que l’Union Européenne parviendra à se réformer de l’intérieur. C’est possible, mais nous n’en prenons pas le chemin, à moins que l’Allemagne, centre de gravité de l’Europe, change franchement de braquet. De même, je pense qu’il se trompe lorsqu’il préconise de sortir de la stratégie militaire française traditionnelle dite « tous azimuts ». Bien qu’il soit évidemment préférable de prioriser les risques selon leur nature, le fondement même de l’art militaire exige que l’on se tienne prêt sur tous les fronts, de peur qu’un danger inattendu nous trouve impréparés. Mais baste ! Ne bondons pas notre plaisir, ce n’est pas tous les jours que nous lisons un essai aussi enthousiasmant, qui cherche à unir pensée et action ! Et rien que pour cela, c’est un livre précieux.


« Une armée et une société succombent plus rapidement à une paralysie du cerveau qu’à toute autre crise. » LIDDELL-HART




Bruno B. Bibliothécaire



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