Cycle 60 ans de la Vème République : La Constitution
Le 04 octobre 1958, la Constitution de la Vème République fut définitivement adoptée, tournant la page des Constitutions à dominante parlementaire qui avaient rythmé la vie politique française depuis 1871. La volonté de ses concepteurs, le Général De GAULLE et Michel DEBRE au premier chef, était de réconcilier la précédente pratique républicaine avec l’ancienne tradition monarchiste. D’où, malgré d’innombrables amendements instaurés au fil des ans, la mise en place d’une Constitution aux contours bien particuliers.
Les fondements de la Vème République française
La Constitution est la loi fondamentale qui régit les grands principes juridiques d’un Etat. Bien qu’ayant été adoptée par le corps électoral par voie de référendum le 28 septembre 1958, elle demeure mal connue 60 ans plus tard. D’où l’intérêt de disposer d’une édition commentée par un professeur de droit public, permettant d’éclairer le grand public sur ce sujet austère. Guy CARCASSONNE, spécialiste reconnu de la question, apporte ainsi, article par article, une expertise accessible au grand public…et non dénuée d’humour, ce qui ne peut pas faire de mal !
Mais si l’analyse fine de notre Constitution demande un peu de temps et quelques compétences, en saisir la philosophie profonde est en revanche aisé. En 1958, le fonctionnement parlementaire classique était totalement discrédité. La plus grande partie du corps électoral avait connu la crise politique des années 30 et la Seconde guerre mondiale. Il vivait par ailleurs les soubresauts de la Guerre d’Algérie qui était en train de se métamorphoser en guerre civile. La Constitution de la Vème République était la fille de la défaite de 1940, et l’obsession de ses fondateurs était de mettre en place un exécutif capable de réagir en dernière analyse.
On songe évidemment au fameux article 16, qui réactualise le vieux principe de la dictature romaine en établissant un état d’exception en cas de crise. La dynamique qui est en œuvre est particulièrement intéressante, car elle vient in fine justifier le rôle prééminent du Président de la République et son élection au suffrage universel direct. En effet, se pose en dernier ressort la question fondamentale de la légitimité du dirigeant susceptible de disposer des pleins pouvoirs. D’où la volonté arrêtée de DE GAULLE de faire élire le Président de la République au suffrage universel, afin que la question de cette légitimité n’ait pas à se poser.
Guy Carcassonne |
Les mutations de la Constitution
Au total, la Vème République prouva dès l’élection présidentielle de 1965 que le système fonctionnait convenablement. L’exécutif jouissait de vastes prérogatives, sans pour autant sacrifier celles d’un Parlement assuré de disposer, grâce au scrutin majoritaire, d’une majorité stable. Le traditionnel équilibre entre les pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif, cher à MONTESQUIEU, tout en prenant des formes un peu différentes de celles en vigueur dans la plupart des autres démocraties, était indéniable.
Pourtant, cet équilibre demeurait toujours précaire, et fut quelque peu contrarié au cours des innombrables réformes constitutionnelles initiées au fil des décennies. L’étrange dyarchie au sommet de l’exécutif (Président de la République et Premier Ministre) était la bizarrerie la plus visible, entraînant un risque, concrétisé à trois reprises, de cohabitation. On tenta d’y répondre par la réforme constitutionnelle de 2000, avec l’instauration d’un quinquennat coïncidant avec l’élection présidentielle. L’ordre des scrutins (l’élection présidentielle précédent les élections législatives) entraîna un effet de bord manifeste, avec un exécutif et une Assemblée Nationale déjà quasiment connus dès la fin du premier tour de l’élection présidentielle.
Une évolution rarement évoquée mais qui nous semble cruciale relève de l’élaboration de ce que l’on s’est mis à appeler à compter de 1971 le « bloc de constitutionnalité ». C’est-à-dire que le Conseil Constitutionnel, chargé à l’origine de s’assurer que les nouvelles lois votées étaient bien compatibles avec la Constitution de la Vème République, intégra dans son analyse non seulement la Constitution elle-même, mais aussi son Préambule, des textes extérieurs (la Déclaration des droits de l’homme, par exemple), ainsi que 11 principes fondamentaux.
Ce changement de perspective n’est pas sans conséquences. Car il relègue la Constitution au rang d’élément certes central, mais non plus exclusif, de la détermination du droit. Et ouvre grand la porte à d’autres sources de ce même droit. C’est ainsi que certains juristes, à l’instar de Jean-Louis HAROUEL, en viennent à protester contre le rôle de la Charte de Déclaration des droits de l’homme qui, selon eux, devient une source de droit parallèle.
L’avenir de nos institutions
La Constitution de la Vème République est au cœur d’un paradoxe. D’un côté elle semble, au prix de quelques adaptations bien compréhensibles, supporter l’épreuve du temps. Après tout, elle ne connaît pas l’instabilité parlementaire qui caractérisait la Constitution précédente, ni l’aboulie qui frappait régulièrement la IIIème République. Mais cette solidité paraît en partie illusoire. Car si la Vème Constitution a su faire ses preuves sur la durée, elle est minée dans ses fondements même.
L’intégration du texte de la Constitution dans un « bloc de constitutionnalité » plus large représente d’ores et déjà un danger, puisqu’il décentre le cœur de la légitimité constitutionnelle. Mais il convient de ne pas perdre de vue un autre aspect de la question, qui vient s’y adjoindre : beaucoup de lois votées sont désormais des traductions nationales plus ou moins remaniées de Directives européennes. Même si elles doivent être conformes à la Constitution, la chaîne des causalités se trouve inversée, puisque pour faire adopter certains textes il devient nécessaire…de modifier la Constitution elle-même !
Il ne s’agit nullement de débats éthérés. Prenons par exemple le projet de suppression du terme « race » dans le texte constitutionnel. La question s’était déjà posée en 2012, comme en témoigne cette intéressante présentation en session ordinaire du Sénat. L’argumentaire qui est déployé au cours de cette dernière est on ne peut plus clair : supprimer toute mention de race dans la Constitution n’empêcherait nullement de poursuivre quiconque pour racisme caractérisé, car « rien n’empêchera les juges français de se référer à des sources européennes et internationales ». Il est certes rassurant de savoir qu’il sera toujours possible de condamner pour acte de racisme ! Mais il l’est beaucoup moins de savoir que ce sera en fonction de normes juridiques extra-constitutionnelles, qui jamais n’ont reçu l’accord du corps électoral français…
Bruno B. Bibliothécaire
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