Suspiria, Dario Argento

La sortie courant 2018 du remake de Suspiria  de Dario ARGENTO nous donne l’occasion de revenir sur ce qui fut l’un des plus grands films fantastiques transalpins des années 70, et qui demeure une des références incontestables d’une période particulièrement féconde
pour le genre !

 

Années de plomb


Il ne faut pas perdre de vue que les années 70 italiennes connurent la triste apogée de ce qu’il est coutume d’appeler « les années de plomb ». La multiplication des attentats d’extrême-gauche ou d’extrême-droite plongea la péninsule dans une période de profond désarroi, qui influença grandement l’expression artistique de l’époque. 


L’art en Italie ne se contenta pas comme la plupart des autres pays d’enregistrer l’évolution des mœurs propre aux années 60 et 70, qui a permis une présentation du sexe et de la violence sous une forme plus explicite qu’auparavant. Dans un autre domaine, il n’est de que parcourir quelques-unes des bandes dessinées pour adultes de l’époque, éditées chez nous par Elvifrance le plus souvent, pour se rendre compte que l’on était rentré dans une toute autre dimension... 

 
Dès le milieu des années 70 le cinéma italien se lança dans une fuite en avant dans la provocation qui allait se poursuivre jusqu’à sa quasi-disparition courant des années 80 : pensez par exemple à Portier de nuit (Liliana CAVANI) qui était déjà bien gratiné, ou à l’intenable Salo ou les 120 journées de Sodome (Pier Paolo PASOLINI).


Horreur spaghetti


Parallèlement à ça, l’Italie connaissait son âge d’or du cinéma populaire. Westerns dits « spaghetti », polars, giallo… Depuis le début des années 60, le grand Mario BAVA avait tracé la route en réalisant plusieurs chefs-d’œuvre du cinéma fantastique. De talentueux successeurs lui emboîtèrent le pas. Parmi eux Dario ARGENTO. Co-scénariste du « Il était une fois dans l’ouest » de Sergio LEONE, puis réalisateur de plusieurs films remarqués au début des années 70, il explosa littéralement en 1977 avec ce qui devait rester comme son chef-d’œuvre : « Suspiria ». 


Dario ARGENTO est avant tout un réalisateur formel, sensitif. Il n’est jamais aussi bon que lorsqu’il parvient à distiller une ambiance prenante sans se laisser ligoter par la moindre vraisemblance, inondant la rétine du spectateur interloqué par un véritable carrousel de couleurs agressives et hypnotiques, et renforçant son effet grâce à la musique entêtante du groupe GOBLIN, responsable de certaines des meilleurs musiques de film de l’époque. L’histoire tient en quelques mots. Suzy, une jeune ballerine américaine, intègre une prestigieuse école de danse bavaroise qui s’avère être dirigée par une secte de sorcières, avant de s’en enfuir non sans peine. 


De cet argument minimaliste naîtra un chef-d’œuvre. Grâce à l’aide de sa compagne de l’époque, l’actrice Daria NICOLODI, il parvint à rendre crédible une histoire filiforme qui se métamorphose progressivement en véritable cauchemar éveillé. Les quelques bribes de raison ne servent plus qu’à mettre en valeur la folie dans laquelle plongé l’héroïne. Le cinéma italien était alors riche en décorateurs (que l’on pense à Danilo DONATI, associé à Federico FELLINI), et « Suspiria » l’illustre éloquemment. L’intérieur de l’école de danse est un bijou d’élégance perverse, dans lequel la beauté se mêle inextricablement à un sentiment de malaise croissant. Une multitude de petits détails rend d’ailleurs le re-visionnage du film passionnant : observez donc les poignées de porte, par exemple…


Il était une fois le cinéma italien


« Suspiria » est un film dont on sort à bout de souffle, conscient d’avoir vécu une expérience cinématographique et sensitive totale. Soyons clair : il y a eu meilleurs films, avant et après « Suspiria ». Mais il n’y a plus jamais eu de films comme « Suspiria ». Il représentait un cinéma porté par la rage, la folie et l’envie de repousser les limites inhérentes à une forme d’art. L’apogée du cinéma italien était bien proche de sa décadence – l’expression « il n’y a pas loin du Capitole à la Roche Tarpéienne » est ici parfaitement adaptée. 


Côté cinéma d’auteur, Luchino VISCONTI et Pier Paolo PASOLINI venaient de mourir, et le cinéma italien eut bien de la peine à s’en remettre. Le cinéma populaire italien allait pour sa part briller encore de quelques feux, mais non sans sombrer de plus en plus dans l’outrance et le putassier. Des auteurs comme Ruggero DEODATO ou Lucio FULCI allaient réaliser quelques films marquants de la fin des années 70 et du début des années 80, avant le vortex final qui allait emporter cette industrie quelques années plus tard. 


Quant à Dario ARGENTO lui-même, on peut lui reconnaître l’immense mérite d’avoir tenu courageusement la barre quelques années encore, livrant  par exemple un « Phenomena » de fort belle tenue. Et puis, tout en demeurant en activité, il finit comme tant d’autres par perdre ce qui faisait tout l’intérêt de son art. Ce qui nous permet de réaliser à quel point l’art est à l’intersection entre un talent personnel et un environnement général




Si l’on ne fait aujourd’hui plus de films comme « Suspiria » (et son remake n’échappera sans doute pas à la règle), c’est que l’environnement qui le rendait possible, aussi sinistre qu’il ait pu être, n’existe tout simplement plus. Demeurera toutefois à jamais dans nos esprits hantés l’image d’une Suzy arpentant les interminables couloirs d’une école de danse au luxe suranné, accompagnée par les murmures maléfiques d’une Reine Noire qui l’attend telle une araignée dissimulée au centre de sa toile…et demeurera également le souvenir de ce cinéma italien qui fut une fois, un jour, un des plus fous et inventifs de la planète. 


Bruno B. Bibliothécaire

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