Jacques GANDOUIN: Guide du protocole et des usages
Plaît-il ? Un vieux guide du protocole et des usages, dites-vous? Mais cher ami, déraisonnez-vous? A notre époque toute de spontanéité rousseauiste et de réseaux sociaux triomphants, quelle utilité de telles vieilleries pourraient-elles encore avoir ?
Un peu de civilité dans ce monde de rustres
A votre question, je pourrais me permettre de répondre de manière succincte en vous disant: « une utilité considérable ! ». Mais je conviens avec vous que ce serait un peu court. De ce fait, revenons un peu en arrière, voulez-vous ? La première version de ce Guide du protocole et des usages date initialement de 1971, avant d’être refondue et rééditée en 1991.
Son auteur, Jacques GANDOUIN, fut ce qu’on appelait encore de son temps un grand commis de l’Etat. Il exerça notamment la fonction de préfet dans les années 70, et fut chargé dans les années 80 de la refonte du protocole républicain. Autant dire un homme du monde autant qu’un serviteur de l’Etat. Et ajoutons un homme tout court, puisque sa gestion virile d’une prise d’otage en 1975 fut couronnée de succès – et lui valut comme de bien entendu une sanction de sa hiérarchie dont il ne sembla guère s’affliger…
Alors certes ! J’admets volontiers que certains chapitres de cet ouvrage ne présenteront guère d’intérêt à celui ou celle qui n’aura ni à organiser une manifestation protocolaire, ni à se poser la grave question du titre à décerner à un responsable de l’Ordre des Chartreux ! Bien qu’ils soient très agréables à lire, comme l’ensemble de l’ouvrage de Jacques GANDOUIN d’ailleurs. Toutefois, pour l’individu qui n’a pas à assumer de responsabilités officielles, ce qui est tout de même le cas de la plupart d’entre nous, ils n’ont en effet qu’un intérêt anecdotique.
Mais le principal n’est pas là ! Une grosse part du guide est consacrée à la civilité des personnes privées. Là encore, on saisit bien que Jacques GANDOUIN a plus fréquenté les salons que les MJC de banlieue, et que bien des cas de figure qu’il présente ne correspondent que très lointainement au vécu de la plupart de nos contemporains.
Il n’en demeure pas moins que, dans leur esprit, ces recommandations sont précieuses.
Introduction à un monde de courtoisie
En effet, si l’on accepte de ne pas se focaliser sur la seule pratique des usages décrits dans ce guide, on y trouvera ce qu’il faut bien appeler une forme de philosophie. Rien à voir avec de la philosophie philosophante toutefois. Songez plutôt à un art de vivre. Le fil directeur qui traverse toutes les recommandations qui émaillent le livre est le suivant : souciez-vous des autres, de manière désintéressée.
Toutes les recommandations découlent de ce seul et unique commandement. Si l’on se tient du côté extérieur d’un trottoir, c’est pour éviter que la personne qui se tient à vos côtés prenne le risque d’être éclaboussée. Si l’on se soucie de savoir qui placer à côté de qui autour d’une table, c’est afin qu’aucun convive ne se sente mal à l’aise. Si certaines activités particulières sont ritualisées, c’est dans le but que chacun sache ce qu’il a à faire, afin d’éviter que quiconque se sente en porte à faux.
A noter que cette vision du monde n’est pas neutre, et l’auteur s’en explique d’ailleurs explicitement en introduction. La courtoisie différencie les individus. De manière contre-intuitive, le recours à la courtoisie implique qu’ils ne soient précisément PAS égaux ! A la réflexion, la chose se conçoit aisément. On ne se comporte pas à l’identique avec un enfant ou avec une vieille dame, avec son supérieur comme avec son collaborateur. Ce qui n’exclut en aucune manière la bonté dans la manière de s’adresser aux uns et aux autres, mais fait en sorte de hiérarchiser les comportements et les attitudes et oblige chacun à se montrer digne du rôle qui lui a été dévolu. Libre à lui, dans une société libre et démocratique, de prétendre à une situation plus en vue.
Un art de vivre à préserver
Pour tout vous dire, très cher ami, je ne vous cèle pas l’impression d’étrangeté qui vous traverse parfois en parcourant ce guide. Ce dernier devait déjà sembler un peu « vieille France » en 1971, et sensiblement hors du temps en 1991… En 2018, le monde de sociabilité qu’il nous donne à voir nous paraît par moments aussi étranger que les anciennes civilisations précolombiennes. Il nous faut nous rendre à l’évidence : notre monde a beaucoup changé en quelques décennies. Souvent en mieux ; en ce qui concerne les rapports entre humains, on peut toutefois estimer non sans arguments que l’on n’a guère gagné au change…
Insistons : cet art de vivre est la conséquence d’une vision du monde dans laquelle chacun assume une fonction donnée ; dans laquelle un responsable a plus de droits et de devoirs que son subordonné ; dans laquelle un homme n’est pas une femme, ni un adulte un enfant. Nul jugement de valeur n’est contenue dans cette sociabilité héritée d’un passé multi-séculaire et d’une civilisation des mœurs parvenue à un très haut niveau de raffinement, mais elle illustre bien bien la conscience aiguë qu’une société ne peut exister sans un minimum de règles qui la canalisent.
Ce qu’in fine l’on cherche à développer par l’entremise de cet exercice de sociabilité, ce n’est pas tant la froide technique (l’auteur ne précise-t-il d’ailleurs pas que l’on peut baffrer avec des couverts en argent, et a contrario manger avec ses doigts avec raffinement ?) que l’état d’esprit qui est derrière. En d’autres termes, prise dans son acception la plus noble,
la politesse n’est autre que la matérialisation de son rapport aux autres, d’une bonté canalisée par les manières. On retrouve là l’idéal de l’honnête homme du XVIIème siècle.
Le mot de la fin. Songez que le Grand Siècle, apogée de la vie de Cour à la française, avait su porter au pinacle la sociabilité humaine ; ses idéaux, pour datés qu’ils soient, ne me semblent pas aussi périmés qu’on le pourrait croire.
« La tradition n’est pas la vénération des cendres, elle est la passation du feu ».
Gustav MAHLER
Bruno B., Bibliothécaire
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Un peu de civilité dans ce monde de rustres
A votre question, je pourrais me permettre de répondre de manière succincte en vous disant: « une utilité considérable ! ». Mais je conviens avec vous que ce serait un peu court. De ce fait, revenons un peu en arrière, voulez-vous ? La première version de ce Guide du protocole et des usages date initialement de 1971, avant d’être refondue et rééditée en 1991.
Son auteur, Jacques GANDOUIN, fut ce qu’on appelait encore de son temps un grand commis de l’Etat. Il exerça notamment la fonction de préfet dans les années 70, et fut chargé dans les années 80 de la refonte du protocole républicain. Autant dire un homme du monde autant qu’un serviteur de l’Etat. Et ajoutons un homme tout court, puisque sa gestion virile d’une prise d’otage en 1975 fut couronnée de succès – et lui valut comme de bien entendu une sanction de sa hiérarchie dont il ne sembla guère s’affliger…
Alors certes ! J’admets volontiers que certains chapitres de cet ouvrage ne présenteront guère d’intérêt à celui ou celle qui n’aura ni à organiser une manifestation protocolaire, ni à se poser la grave question du titre à décerner à un responsable de l’Ordre des Chartreux ! Bien qu’ils soient très agréables à lire, comme l’ensemble de l’ouvrage de Jacques GANDOUIN d’ailleurs. Toutefois, pour l’individu qui n’a pas à assumer de responsabilités officielles, ce qui est tout de même le cas de la plupart d’entre nous, ils n’ont en effet qu’un intérêt anecdotique.
Mais le principal n’est pas là ! Une grosse part du guide est consacrée à la civilité des personnes privées. Là encore, on saisit bien que Jacques GANDOUIN a plus fréquenté les salons que les MJC de banlieue, et que bien des cas de figure qu’il présente ne correspondent que très lointainement au vécu de la plupart de nos contemporains.
Il n’en demeure pas moins que, dans leur esprit, ces recommandations sont précieuses.
Introduction à un monde de courtoisie
En effet, si l’on accepte de ne pas se focaliser sur la seule pratique des usages décrits dans ce guide, on y trouvera ce qu’il faut bien appeler une forme de philosophie. Rien à voir avec de la philosophie philosophante toutefois. Songez plutôt à un art de vivre. Le fil directeur qui traverse toutes les recommandations qui émaillent le livre est le suivant : souciez-vous des autres, de manière désintéressée.
Toutes les recommandations découlent de ce seul et unique commandement. Si l’on se tient du côté extérieur d’un trottoir, c’est pour éviter que la personne qui se tient à vos côtés prenne le risque d’être éclaboussée. Si l’on se soucie de savoir qui placer à côté de qui autour d’une table, c’est afin qu’aucun convive ne se sente mal à l’aise. Si certaines activités particulières sont ritualisées, c’est dans le but que chacun sache ce qu’il a à faire, afin d’éviter que quiconque se sente en porte à faux.
A noter que cette vision du monde n’est pas neutre, et l’auteur s’en explique d’ailleurs explicitement en introduction. La courtoisie différencie les individus. De manière contre-intuitive, le recours à la courtoisie implique qu’ils ne soient précisément PAS égaux ! A la réflexion, la chose se conçoit aisément. On ne se comporte pas à l’identique avec un enfant ou avec une vieille dame, avec son supérieur comme avec son collaborateur. Ce qui n’exclut en aucune manière la bonté dans la manière de s’adresser aux uns et aux autres, mais fait en sorte de hiérarchiser les comportements et les attitudes et oblige chacun à se montrer digne du rôle qui lui a été dévolu. Libre à lui, dans une société libre et démocratique, de prétendre à une situation plus en vue.
Un art de vivre à préserver
Pour tout vous dire, très cher ami, je ne vous cèle pas l’impression d’étrangeté qui vous traverse parfois en parcourant ce guide. Ce dernier devait déjà sembler un peu « vieille France » en 1971, et sensiblement hors du temps en 1991… En 2018, le monde de sociabilité qu’il nous donne à voir nous paraît par moments aussi étranger que les anciennes civilisations précolombiennes. Il nous faut nous rendre à l’évidence : notre monde a beaucoup changé en quelques décennies. Souvent en mieux ; en ce qui concerne les rapports entre humains, on peut toutefois estimer non sans arguments que l’on n’a guère gagné au change…
Insistons : cet art de vivre est la conséquence d’une vision du monde dans laquelle chacun assume une fonction donnée ; dans laquelle un responsable a plus de droits et de devoirs que son subordonné ; dans laquelle un homme n’est pas une femme, ni un adulte un enfant. Nul jugement de valeur n’est contenue dans cette sociabilité héritée d’un passé multi-séculaire et d’une civilisation des mœurs parvenue à un très haut niveau de raffinement, mais elle illustre bien bien la conscience aiguë qu’une société ne peut exister sans un minimum de règles qui la canalisent.
Ce qu’in fine l’on cherche à développer par l’entremise de cet exercice de sociabilité, ce n’est pas tant la froide technique (l’auteur ne précise-t-il d’ailleurs pas que l’on peut baffrer avec des couverts en argent, et a contrario manger avec ses doigts avec raffinement ?) que l’état d’esprit qui est derrière. En d’autres termes, prise dans son acception la plus noble,
la politesse n’est autre que la matérialisation de son rapport aux autres, d’une bonté canalisée par les manières. On retrouve là l’idéal de l’honnête homme du XVIIème siècle.
Le mot de la fin. Songez que le Grand Siècle, apogée de la vie de Cour à la française, avait su porter au pinacle la sociabilité humaine ; ses idéaux, pour datés qu’ils soient, ne me semblent pas aussi périmés qu’on le pourrait croire.
« La tradition n’est pas la vénération des cendres, elle est la passation du feu ».
Gustav MAHLER
Bruno B., Bibliothécaire
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