Eric ZEMMOUR Le suicide français
La sortie du Suicide français plaça le journaliste et essayiste Eric ZEMMOUR sous le feu des projecteurs. Son livre fit la « Une » des journaux. Ses propos furent disséqués et analysés des semaines durant. Sans conteste, cet essai, que l’on pouvait plus ou moins rattacher au courant « décliniste », suscitait de vives réactions. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?
Il était une fois en France
Avant tout, ce qui frappe à la lecture du Suicide français est un sentiment de changement de perspective. Le livre a paru en octobre 2014. C’était il y a moins de 4 ans...
Et pourtant, que ces 4 années nous paraissent une éternité ! L’effet de sidération qu’il avait produit en son temps s’explique en partie par le fait que 2014, c’était…avant. Avant quoi ? Avant les attentats de 2015 et 2016. Avant la vague migratoire de plus d’un million de migrants et de réfugiés qui traversa le continent européen en 2015. Avant le traité de libre-échange CETA avec le Canada, sans aucune consultation du peuple français. Avant une prise de conscience de plus en plus aiguë que les Européens en général, et les Français en particulier, étaient en train de complètement perdre le contrôle de leur destin.
Eric ZEMMOUR pose le postulat suivant : la France s’est ingéniée à s’auto-détruire ces 40 dernières années. Les bornes chronologiques qu’il s’est imposées sont révélatrices : Le suicide français débute à la mort du Général DE GAULLE en 1970, pour s’achever sur la ratification du Traité de Lisbonne en 2008. Selon lui, un fil directeur traverse toute la période, à savoir l’abandon par la France de sa propre souveraineté. Le constat qu’il établit est convainquant et épouvantable. Sa conclusion est sans appel. Il la formule ainsi, dans la conclusion de son ouvrage : « De Gaulle a échoué. Quarante ans après sa mort, son chef-d’œuvre est en ruines ».
Les racines du mal
L’ouvrage ne prétend pas être un ouvrage d’histoire ; pourtant il l’est bel et bien dans une certaine mesure. Sa trame est chronologique. Eric ZEMMOUR liste, année après année, implacablement, tous les renoncements et aveuglements qui ont petit à petit conduit la France dans l’impasse. Alors certes, la France de 1970 n’était pas le Paradis, et bien peu aimeraient vivre en 2018 comme vivaient nos parents ou grands-parents à cette époque ! Mais enfin, il s’agissait d’un pays prospère, démocratique et respecté, ayant mis en place une Vème Constitution stable, réglé (non sans indicibles souffrances, il est vrai) une guerre d’Algérie atroce, connaissant le plein-emploi, disposant d’une force armée non négligeable, et jouissant d’une prééminence au sein des institutions européennes que nul ne songeait à lui disputer. Or, la froide lucidité nous oblige tout de même bien à admettre que nous sommes aujourd’hui très loin du compte…
L’abandon de souveraineté. Voilà ce qui traverse tout l’essai d’Eric ZEMMOUR. En 2014, il n’était déjà plus le seul ni le premier à établir ce constat. Mais peu de voix ont porté plus fort que la sienne. Une solide connaissance de l’histoire et de la politique, un vrai point de vue d’auteur, un authentique talent littéraire et un certain sens de la provocation lui conférèrent une audience que d’autres n’eurent et n’auront jamais. Cet abandon de souveraineté, Eric ZEMMOUR montre bien à quel point, et c’est sans doute le plus triste de l’affaire, fut le fait d’une majorité de la population française. Le corps de DE GAULLE n’était pas encore froid que ses successeurs s’empressaient de réduire son œuvre à néant, avec l’accord plus ou moins explicite du corps électoral français. Interdiction à l’Etat de s’auto-financer, mise en place du regroupement familial, levée du veto sur l’entrée de l’Angleterre dans la CEE…en quelques années à peine, les décisions prises par Gorges POMPIDOU et Valéry GISCARD D’ESTAING donnaient une assez bonne idée de ce vers où nous nous rendions. En l’occurrence, vers un pays en cours de dissolution, sous protectorat américain et paralysé par une Union Européenne à laquelle nous avions nous-même donné naissance !
Le suicide français
Est-ce à dire que le livre est au-dessus de tout reproche ? Non pas. Certaines critiques formulées à l’époque à son encontre semblent justifiées. Eric ZEMMOUR, probablement mû par une légitime colère, va parfois trop loin, généralise trop et pour tout dire semble parfois se complaire dans son rôle de réac’ ultime. Ses bordées contre la dévirilisation de la gente masculine sont justifiées, mais souvent outrées. Sa haine de « l’esprit de Mai 68 » l’égare par instants. Son refus de la diabolisation univoque du régime de Vichy le pousse à une trop grande indulgence à son égard. Il n’empêche. Le cœur de son argumentaire n’en est pas impacté. Il s’agit d’un grand essai, de ceux qui marquent leur épique, à l’instar du Mal français écrit par Alain PEYREFITTE il y a plus de 40 ans maintenant.
Mais tout de même. Il y a un point sur lequel Eric ZEMMOUR s’est, une fois n’est pas coutume, montré trop indulgent. Reprenant à son compte une grande tradition anti-élites, il n’a pas de mots assez durs à leur encontre, non sans de très bonnes raisons. Toute généralisation ne peut être qu’injuste ; il n’en demeure pas qu’hormis quelques heureuses exceptions nos élites politiques, économiques et médiatiques ont abandonné sans vergogne tout sens de l’Etat et de la Patrie, laissant une France désormais sans attaches dériver au gré de forces sur lesquelles elle n’a quasiment plus aucune prise. Dire ça n’est cependant pas absoudre le peuple français. Si la responsabilité de ses élites est écrasante, il est triste d’avoir à rappeler que dans une démocratie ce sont les citoyens qui sont dépositaires de la souveraineté de leur pays. Or, il est peu de dire qu’à de rares exceptions près les citoyens se sont contentés de suivre le train en marche. On objectera le refus en 2005 du Traité constitutionnel - hélas il était déjà trop tard, et la souveraineté française trop lourdement entamée.
En bref, en forçant à peine le trait, on peut estimer que la France de 2018 s’est mise par ses propres moyens en situation de vassalisation. C’est bien pour cela que le terme « suicide » employé par Eric ZEMMOUR est parfaitement approprié. Où et quand a-t-on déjà vu un peuple préparer avec la meilleure conscience du monde sa propre dissolution, considérant cette dernière presque comme le nec plus ultra de la civilisation ?
A notre connaissance…nulle part et jamais ! Nous avons affaire là à une nouveauté absolue. Quant à savoir s’il y a lieu de s’en vanter, c’est une autre histoire.
Bruno B., Bibliothécaire
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