Sam PECKINPAH, Les chiens de paille
Quitte à donner le sentiment que je radote, je vous livre ici (une fois de plus !) ma conviction profonde : le cinéma des années 70 fut l’un des plus créatifs, l’un des plus subversifs, et, pour tout dire, l’un des plus intéressants de toute l’histoire du 7ème Art. Et Sam PECKINPAH, dont le sommet de la carrière épousa cette décennie, fut un des représentants les plus brillants d’un certain état d’esprit qui régnait alors.
Le nouvel Hollywood
A cela deux raisons principales.
D’abord l’évolution des mœurs, qui permit de dire et montrer, à compter de la fin des années 60, certaines choses que l’on n’abordait pas frontalement jusque-là, mais tout en conservant le savoir-faire bien réel des années précédentes. Des réalisateurs comme Don SIEGEL, formés dans l’univers classique des studios, surent justement prendre leur envol au cours de cette période.
Ensuite, l’évolution d’Hollywood. Hollywood avait toujours su engendrer de brillants réalisateurs, mais ces derniers n’étaient le plus souvent que des salariés de luxe. La période des années 70 vit l’autonomisation des réalisateurs, bien en adéquation en somme avec ce que l’on a appelé le Me decade (la décennie du Moi).
Tout ça pour dire que ce contexte était absolument indispensable à l’éclosion d’un talent comme celui de Sam PECKINPAH. Personnalité complexe et atypique, ayant du sang indien à une époque où ne pas être un pur WASP représentait encore un vrai handicap, on peut résumer le personnage en disant qu’il s’agissait d’un écorché vif, constamment en décalage avec son époque. Etat d’esprit certes difficile à vivre, mais qui en fit un remarquable contempteur des travers de son temps.
Le règne de la violence
PECKINPAH est souvent présenté comme LE réalisateur de la violence, ce qui est à la fois vrai et faux.
Vrai, car elle apparaît dans presque tous ses films, dont elle fournit en général le carburant. Faux dans la mesure où sa matérialisation n’est en réalité qu’épisodique. Les films de PECKINPAH sont plus violents psychologiquement que physiquement. Par ailleurs, on peut résumer son cinéma en disant que 3 thèmes principaux le traversent : la violence, donc ; la nostalgie ; le nihilisme. Les chiens de paille, un de ses meilleurs films, en est la parfaite illustration.
Un petit village anglais, début des années 70. Un jeune couple s’installe dans une ferme des alentours. Le mari (Dustin HOFFMAN) est un brillant mathématicien américain, et sa femme une enfant du pays, parvenue à persuader son époux de venir s’installer en Grande-Bretagne afin d’échapper à la violence endémique qui règne aux Etats-Unis. Si l’adaptation du couple semble de dérouler pour le mieux au début, des tensions vont très vite apparaître, avant tout entre le couple et le village, mais aussi au sein du couple lui-même.
La faute en incombe en partie au malheureux mathématicien, individu un peu lunaire et qui, malgré sa grande gentillesse, est d’une profonde maladresse sociale. D’une intelligence et d’une culture hors normes, il écrabouille sans aucune difficulté les notables locaux par ses connaissances. Ce handicap social, renforcé par sa méconnaissance des us et coutumes du monde rural anglais, le discrédite rapidement aux yeux de certains, d’autant que son pacifisme revendiqué le fait passer pour un lâche.
Dustin Hoffman, Les Chiens de Paille |
Un petit village tranquille
A sa décharge, le village est lui-même soumis, comme toujours, à des querelles qui n’attendent qu’une occasion pour se régler dans le sang. Incapable de comprendre cela, le jeune homme ne saura pas éviter la catastrophe qui va tomber d’abord sur son épouse, puis sur le couple. Le dernier tiers du film est un magnifique exemple de ce que l’on appelle maintenant un home intruder, qui décrit la réaction d’une famille face à une agression extérieure.
Mais c’est là PEKINPAH se distingue profondément. Avant tout par la mise en scène, efficace et racée, qui tire tout le parti claustrophobique d’une action resserrée sur un très petit nombre de lieux. Ensuite par le discours. Les difficultés rencontrées, qui permettent de révéler (au sens chimique du terme) les caractères de chacun, mettent en évidence une incompatibilité de caractère et de vision du monde entre les deux membres du couple, et également entre eux et le reste de leur environnement. Les failles étaient là, latentes, qui éclatent au grand jour en raison des circonstances.
On pourrait presque dire (et cette vérité est somme toute bien dérangeante) que tout le monde à un peu raison et un peu tort, en fonction du point de vue adopté. Le confort moral que l’on ne trouve que trop souvent dans le cinéma hollywoodien d’aujourd’hui n’a rien à faire dans ce contexte, où chacun a la lourde charge de déterminer lui-même ses propres règles morales.
Un univers sans règles
C’est dans la recherche désespéré de « lois » morales qui n’existent pas que PECKINPAH nous piège. L’environnement du paisible petit village anglais, avec ses enfants qui jouent dans les rues, son pub typique, ses jolies maisons rustiques, combien aimerait-on l’aimer ! La nostalgie d’un pseudo « bon vieux temps » nous guette à chaque coin de rue, et pourtant la réalité qui s’offre à nous est bien différente.
La réalité brute et cruelle, c’est ce nihilisme qui ne veut pas s’avouer. Car, ce me semble, le nœud du film se situe là : le héros du film fuit-il la violence parce qu’il ne l’aime pas et/ou en a peur ? Fuit-il LA violence…ou bien fuit-il SA violence, celle qui explose de manière atroce à la fin du film, une violence calculatrice et efficace, qui triomphe de la violence débridée et brouillonne de ses adversaires ? La réponse, si on regarde le film honnêtement jusqu’à sa toute dernière image, ne fait pas le moindre doute…
Les charmants villages d’antan disparaissent dans la brume. Une violence absurde explose jusqu’à une résolution sanglante… Ne demeure qu’un homme qui a tué pour des valeurs qu’il a défendues jusqu’au bout et dont il ignore pourtant si elles revêtent pourtant une importance quelconque. Le héros du film, sorti grandi et humanisé par le meurtre d’autrui, part dans la nuit au volant de sa voiture, vers nulle part. Il faut bien se battre pour quelque chose, semble-t-il dire, mais ce quelque chose ne vaut en définitive rien…ce nihilisme radical et désespéré, PECKINPAH le poussera à son paroxysme quelques années plus tard dans Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia et Croix de fer. Sans doute connaissait-il fort bien l’Ecclésiaste, dont certains passages semblent avoir été rédigés pour lui : « Alors je félicite les morts qui sont déjà morts plutôt que les vivants qui sont encore vivants. » (III – 2). Youpi.
Bruno B. Bibliothécaire
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