La Conservation c'est toute une Histoire : interview

Avant de commencer, peux-tu te présenter ?
 
Bonjour. Je m'appelle Adolphe Rossille. Je suis entré à la Bibliothèque il y a 20 ans avec pour mission de traiter un fonds déposé par la communauté juive de Nîmes : les Hebraica de la Synagogue.


Ensuite, parallèlement aux diverses activités du service (montage d'expositions, accueil du public, magasin, etc.), mes principales missions ont été la mise à jour du Catalogue des Manuscrits et sa mise en ligne, la révision des notices de nos Incunables, le catalogage du fonds du Séminaire et autres.

 

 

1. La conservation


              
Livres anciens , manuscrits, incunables, livres rares, enluminés … Peux-tu nous expliquer en quelques mots les différences entre tous ces ouvrages  ?


Techniquement, on nomme livre ancien tout livre publié jusqu'en 1830. A partir de cette date, on utilise le terme de monographie.
 

Les manuscrits, comme le mot l'indique, sont des livres (ou même une simple feuille) écrits à la main et, de fait, il y a donc des manuscrits anciens et des manuscrits contemporains.
 

Le terme d'incunable (du latin incunabula qui signifie berceau) est réservé aux livres anciens publiés depuis l'invention de l'imprimerie jusqu'en 1500. C'est une date quelque peu arbitraire car jusqu'en 1530, voire au-delà, les livres de cette période présentent les mêmes caractéristiques que les incunables et on les nomme généralement post-incunables.
 

Les critères qui définissent le livre rare sont assez nombreux : tirage en petit nombre, destruction, particularités d'exemplaire, etc. Mais on peut dire qu'un livre rare est un livre qu'il est difficile de se procurer parce qu'il y a peu d'exemplaires disponibles.
 

Quant aux enluminures, ce sont des peintures ou des dessins exécutés à la main pour décorer un texte, le plus souvent manuscrit mais on en trouve aussi sur des imprimés.
 

Notre Bibliothèque est riche de fonds présentant tous les aspects du livre : manuscrits anciens et contemporains, enluminés ou non, incunables, livres anciens et monographies.
 

Peux-tu nous en dire plus sur la composition de notre fonds ancien ?
 

Le fonds ancien est constitué de près de 63000 unités.
 

Les livres anciens, donc d'avant 1830, comptent 53000 volumes dont 81 incunables et 8000 volumes du XVIème siècle.
 

Le fonds des manuscrits  rassemble sous 1129 cotes quelques 9000 pièces dont 2650 documents antérieurs à 1830.

 Comment s’est constitué ce fonds ?

 L'histoire du fonds commence avec la création des domaines nationaux et la confiscation des biens du Clergé, des nobles et des sociétés savantes, par le décret de la Convention du 2 novembre 1789.
 

La bibliothèque de Nîmes est créée par décret en octobre 1795 et les livres et manuscrits des couvents de Nîmes, de la Chartreuse de Villeneuve, de l'Académie y sont alors déposés. Devenue bibliothèque municipale en 1803 par le décret de Napoléon 28 janvier 1803, les collections sont désormais accessibles au public.
 

Au cours des XIXe et XXe siècles, les fonds s'enrichissent de divers dons et legs (Amoreux, Bardon, Valz, Reinach, Pelet et bien d'autres), de dépôts (Consistoire de l’Eglise Réformée, Synagogue) et d'achats.

Peux-tu nous donner quelques exemples de livres qui illustrent notre collection ?
 

Notre ouvrage le plus ancien est bien sûr un manuscrit : le « Liber manualis Wilelmi » datant du Xe siècle. C'est un manuel de morale dicté de 841 à 843 par Dhuoda, une princesse carolingienne, à l'intention de son fils Guillaume [Ms 393_1].
 

Notre imprimé le plus ancien est bien sûr un incunable : Le « De Virtutibus herbarum » de Macer Floridus, un ouvrage de phytothérapie imprimé à Naples en 1477 [Inc 41]. — Avec un autre incunable du même texte, illustré celui-ci [Inc 80_2]
 

Quant à la plus ancienne impression nîmoise de nos fonds, il s'agit d'un livre de Jean de Serres, intitulé « Défence de la vérité catholique... » et imprimé par Sébastien Jaquy en 1586 [RES 32628].
 

Pour illustrer les fonds hébraïques, je voudrais signaler le « Sefer ha-ḥasidîm », un traité d'éthique individuelle et sociale du XIIe siècle, attribué à Yehudah ben Shemuel Qalonymus. Non seulement nous avons l'édition princeps de l'oeuvre, imprimée à Bologne en 1538 [Fonds de la Synagogue, RAB_001], mais aussi l'un des rares manuscrits de ce texte [Ms 26_3]. — Anecdote sur cet ouvrage. Il se trouve que le texte contient un certain nombre gloses françaises dont les unes manquent dans les éditions et d'autres qui semblent plus correctement transcrites dans le manuscrit de Nîmes. Joseph Simon qui était conservateur à la bibliothèque au XIXe siècle et avait alors catalogué le manuscrit, était aussi instituteur à l'école juive et bibliothécaire de la synagogue, rue Roussy. Il a soigneusement relevé les gloses dans le texte imprimé et noté en marge la leçon correspondante du manuscrit.
 

Le fonds des manuscrits recèle bien des trésors : les manuscrits du savant nîmois Jean-François Séguier, un exemplaire du XIVe siècle du Décret de Gratien [Ms 67], un Livre d'heures du XVe [Ms 891], tous deux richement enluminés. Avec d'autres, ils font partie des 'stars' de la bibliothèque et ont plusieurs fois été exposés.
 

Alors voici donc deux pièces moins connues : un évangile de Mathieu, bilingue syriaque-arabe en caractères syriaques portant la mention d'un censeur du XVIIIe [Ms 21].
 

Un rapport écrit en 1692 par Wilhelm Coyet, avocat, diplomate et fonctionnaire suédois, sur la découverte d'un cor et d'une pipe dans une ferme de Ljungby en Suède. Ce manuscrit joliment calligraphié contient 2 belles planches en couleur. [Ms 696_12, trouvé dans les papiers de Gaston Maruejol ]



 

Ces œuvres ont une histoire, on peut dire « qu’elles voyagent » à travers le temps non?

Bien sûr, elles sont parvenues jusqu'à nous, passant de main en main et d'un lieu à un autre.
Le livre aujourd'hui ancien, quelle que fut sa forme, était un objet précieux et leurs propriétaires successifs y portaient souvent leur nom, leur marque, leur ex-libris, les circonstances de leur prise de possession (achat, don, etc.).
 

Un traité d'optique du XVIe de la riche bibliothèque du Marquis d'Aubais, s'est retrouvé dans la bibliothèque du Séminaire de Nîmes, puis aux Archives Départementales [SEM 0063].
 

Un des manuscrit hébraïque, écrit par Yehudah ben Isaac pour le rabbin Yoav ben Binyamin, à Rome à la fin du XIIIe, est arrivé dans la bibliothèque de la Chartreuse de Villeneuve, on ne sait trop comment [Ms 25].
 

Un recueil de leçons de Jacques de Voragine ayant appartenu à un certain Jean Bozauquet, est passé à Jean d'Etampes, trésorier de France, puis à Jaume Boyer, puis à Estève Fabre, contrôleur de la trésorerie royale de Nîmes, puis à Fabrissa, femme de Pierre de Brueys, avocat du roi à Nîmes [Ms 54].
 

Les exemples sont divers et très nombreux.

 2. Securité

Désormais en tant que propriétaire , comment protégeons nous nos trésors  ?


Soyons précis, nous ne sommes pas propriétaires, mais gardiens et conservateurs de ces trésors.
Les fonds précieux sont rangés dans une chambre forte du bâtiment que nous appelons « réserve précieuse ». Cette pièce est équipée d'un système anti-incendie qui, heureusement n'a jamais eu à se déclencher. La température et l'hygrométrie de la pièce sont automatiquement et quotidiennement contrôlées afin d'assurer une conservation optimale des documents.


Comment et qui peut accéder à cette réserve précieuse ?

Seuls les agents du Service Patrimoine et ceux de la Sécurité sont habilités à pénétrer dans cette salle qui est sous surveillance permanente.
 

Avant d'y entrer, nous devons préalablement appeler le P.C. Sécurité et nous identifier. L'agent du P.C. vérifie que la personne qui appelle est bien autorisée et désactive l'alarme. Celle-ci se déclenche si quelqu'un entrait sans prévenir. De même lorsque nous sortons, nous devons le signaler et le P.c. réactive l'alarme.
 

Enfin, n'entrons pas dans la Réserve sans raison. Outre les opérations de classement, récolement et autres, nous allons y chercher les documents demandés par les lecteurs. Et pour consulter ces documents qui sont donc rares et précieux pour la plupart, le lecteur (chercheur, étudiant, le plus souvent) doit préalablement décliner son identité et motiver sa demande, la simple curiosité n'est pas un motif suffisant. N'oublions pas qu'une de nos missions est la conservation en bon état des documents. C'est pourquoi, depuis quelques années nous avons entrepris de numériser les documents les plus précieux et par leur mise en ligne en permettre l'accès au plus grand nombre.

 

Peux-tu estimer le fond des Bibliothèques de Nîmes ?

                                                                                                                          
Une réponse raisonnable à cette question est que ces fonds sont inestimables. Un ordre de grandeur ? Des dizaines de millions d'euros.
 

Par exemple, de 2001 à 2015, pour exposition à d'autres institutions, la bibliothèque a prêté 46 ouvrages dont la valeur d'assurance totale se montait à plus de 2,5 millions d'euros soit une moyenne de 55000 euros par document (de 400 €  à 700000 €). Bien sûr, beaucoup d'ouvrage de la Réserve ne valent pas tant, mais sachant qu'elle renferme quelque 5200 livres anciens, sans compter les manuscrits et les autres livres, ça laisse rêveur !
 

Comme je l'ai dit précédemment, les fonds s'accroissent par des dons et legs, mais aussi par des achats pour lesquels le Service dispose d'un budget annuel de 20000 euros.
 

Ainsi, le fonds s'est récemment enrichi de lettres autographes d'Alphonse Daudet, de Guillaume Apollinaire, entre autres, et très prochainement d'un livre d'heures exécuté par un prêtre nîmois en 1657.

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