Le livre des cinq roues, Miyamoto MUSASHI

A une époque où fleurissent dans les libraires (et les bibliothèques !) les manuels de développement personnel, sans doute n’est-il pas surprenant que le « Livre des cinq roues », de Miyamoto MUSASHI, soit réédité. Pourtant, au risque de choquer nos contemporains, l’objet premier de ce traité, vieux de presque trois siècles, n’était nullement de contribuer au bien-être psychologique de ses lecteurs. Il était de leur enseigner comment tuer.



Terre


Miyamoto MUSASHI fut l’escrimeur le plus célèbre de toute l’histoire du Japon. Contemporain exact de notre D’ARTAGNAN national, cet illustre samouraï connut d’une certaine manière le même destin que lui, personnage bien réel devenu personnage de fiction. Sa vie plus ou moins fantasmée fut l’objet d’une pléthore de films, de mangas et de romans – exemple entre cent, citons pour mémoire le passionnant feuilleton « La pierre et le sabre », d’Eiji YOSHIKAWA.

Il vécut courant de la première moitié du XVIIème siècle, ayant participé encore adolescent à la terrible bataille de Sekigahara, en 1600, qui vit la victoire définitive du clan Tokugawa et l’installation du Shogunat pour plus de 250 ans. Il connut donc successivement une période de troubles intenses et les débuts d’une longue période de paix pendant laquelle les samouraïs devinrent de plus en plus des guerriers de salon. C’est sans doute parce qu’il percevait cette évolution avec acuité qu’il entreprit, parvenu à la fin de sa vie, de rédiger le « GORIN-no-SHO », le « Livre des cinq roues ».


Eau


L’objectif premier et essentiel de ce Traité était on ne peut plus clair : apprendre à tuer. Il convient de se souvenir que Miyamoto MUSASHI était un samouraï, qui avait vécu à une époque extrêmement violente. Pour quelqu’un de sa caste et de sa génération, apprendre à se battre et à tuer revêtait la force de l’évidence. Selon lui, la Voie de la Tactique, ainsi qu’il appelait l’ensemble des connaissances nécessaires au combat individuel et à la bataille rangée, était la voie naturelle d’un samouraï digne de ce nom.

C’est pour cela qu’une large part du « Livre des cinq roues » est dédié à un enseignement très pratique : comment tenir ses sabres, comment affronter plusieurs adversaires, comment s’entraîner au quotidien afin d’acquérir les réflexes martiaux adéquats, etc… Comme le résume MUSASHI lui-même dans le chapitre « Eau » de son Traité : « Une fois que l’on tient un sabre, le but à atteindre est de pourfendre l’adversaire, de quelque façon que ce soit ». Vous noterez que pour lui, l’important n’est pas de survivre. L’important est de vaincre. Toute une philosophie.


Feu


Evidemment, tout Français du XXIème siècle pourrait se demander quel intérêt autre qu’historique revêtirait la lecture d’un ouvrage dont l’objectif est de vous apprendre comment fendre le crâne de votre vis-à-vis à grands coups de katana ! Ce qui évite à l’œuvre de MUSASHI de n’être qu’une simple curiosité, c’est sa démarche. Le samouraï adosse en effet ces considérations pratiques à une authentique réflexion sur la connaissance et l’apprentissage. Il ne demande pas à ses lecteurs de suivre aveuglément ses préceptes. Tout au contraire, bien qu’il insiste sur la maîtrise impérative de quelques bases sans lesquelles le combattant se ferait tuer en une minute, il cherche à susciter la réflexion de son lecteur.
Bien conscient du risque qu’un quelconque formalisme risquait de faire courir à l’art authentique du combat, il ne cesse de préconiser un travail d’aller-retour permanent entre théorie et pratique. Il donne des pistes, avant d’inciter le lecteur à les mettre en pratique à sa manière et à polir sa technique par un entraînement inlassable. Loin d’exiger une déférence aveugle à ses préceptes, il invite très régulièrement le pratiquant de réfléchir à leur finalité profonde et à leur implication sur la Voie de la Tactique.


Vent


La vision que MUSASHI avait de cette Voie de la Tactique excédait à vrai dire le simple intérêt pour le combat. Il est évident que pour lui elle représentait l’idéal de vie du bushi (guerrier). La dimension spirituelle de sa démarche est d’ailleurs contenue dans le titre même de son livre, puisque la roue est un symbole bouddhiste commun, et le chiffre « cinq » associé aux cinq éléments qui, réunis, composent l’ensemble de l’univers. Il ne pouvait pas mieux signifier son intention englobante qu’en adoptant ce titre.

De ce que l’on connaît de la vie de MUSASHI, ce constat est tout à fait en accord avec l’existence qu’il a menée. Malgré ses extraordinaires succès martiaux (il passe pour avoir remporté une soixantaine de duels contre les meilleurs combattants de son temps, sans avoir jamais été vaincu), il sembla avoir mené une vie quasi-monacale. Ne possédant presque rien, ne s’étant jamais marié, il n’était de toute évidence guère intéressé par les biens de ce monde. Sa seule obsession, toute sa vie, fut de parvenir à la maîtrise totale de son art, dans une perspective qui fait parfois penser à l’esprit zen – bien qu’il ne s’en prévalût jamais explicitement.
 

Vide


De manière pour le moins étrange, le recul du temps et l’éloignement culturel nous rendent l’œuvre de MUSASHI accessible. L’étrangeté même de son propos met d’autant mieux en évidence sa plus grande originalité. Son livre est un exemple parfait de dévotion au perfectionnement de soi, non par narcissisme, mais par volonté de donner le meilleur de ses capacités dans le domaine que l’on s’est choisi. MUSASHI ne cherche pas à égarer son lecteur, il lui fait bien saisir qu’il s’agit d’une démarche quotidienne, incessante, d’une exigence folle et qui nécessite d’avoir toujours l’esprit en alerte.

A deux occasions, il a condensé son enseignement en quelques maximes faciles à retenir. La « Voie à suivre seul », rédigé quelques jours avant sa mort, est d’une telle dureté que seul un moine-soldat des temps modernes pourrait s’y astreindre. Mais, dans le chapitre « Terre » de son livre, figure un autre résumé. Ses préceptes, plus modérés et plus généraux, nous semblent tels que tout un chacun gagnerait à les suivre, quintessence de la pensée d’un samouraï-philosophe qui s’adresse à nous par-delà la barrière du temps :


  • 1-Eviter toutes pensées perverses
  • 2-Se forger dans la Voie en pratiquant soi-même, et non par le jeu des idées
  • 3-Embrasser tous les arts et non se borner à un seul
  • 4-Connaître la Voix de chaque métier et non se borner à celui que l’on exerce soi-même
  • 5-Savoir distinguer les avantages et les inconvénients de chaque chose
  • 6-En toutes choses s’habituer au jugement intuitif
  • 7-Connaître d’instinct ce que l’on ne voit pas
  • 8-Prêter attention aux moindres détails
  • 9-Ne rien faire d’inutile
Bruno B. Bibliothécaire

Le livre des cinq roues
Miyamoto Musashi 1584-1645
Budo, 2014


emprunter Le livre des cinq roues à la bibliothèque

Aucun commentaire:

Fourni par Blogger.