Charles de GAULLE: Mémoires

Les éditions PLON ont réédité en un seul volume l’intégralité des Mémoires du Général de GAULLE. Il comporte donc les Mémoires de guerre, rédigés dans les années 50 ;  les Mémoires d’espoir, écrits entre sa démission en 1969 et sa mort l’année suivante, et demeurés inachevés ; enfin, une abondante sélection de discours et d’interviews s’étalant entre 1946 et 1969. Ces documents fournissent une somme irremplaçable pour quiconque cherche à comprendre les fondements de la Cinquième République française. Et puis…vous l’avouerais-je ? Allez, je l’avoue. Peut-être allez-vous rire, mais la lecture de ses œuvres me redonne toujours un peu d’espoir dans les moments de doute. Car ce personnage, lecteur assidu de Charles PEGUY et ce n’est pas un hasard, a su allier, d’une manière quasi-unique dans notre histoire, le réalisme à la grandeur de vue, la Politique et la Mystique.


Aux origines de la Cinquième République


La Cinquième République fut promulguée le 4 octobre 1958, venant mettre un point final à 12 années d’une Quatrième République mortellement déconsidérée. Mais le lent processus qui avait présidé à sa création avait débuté presque 20 ans plus tôt. Un bref retour en arrière s’impose. La Troisième République, qui avait pourtant traversé l’épreuve du feu entre 1914 et 1918, s’était effondrée comme un château de cartes le 17 juin 1940 suite à la défaite française face à l’Allemagne nazie. Pour tout dire, la Troisième République était alors presque aussi déconsidérée que le fut la Quatrième 18 ans plus tard. Le régime parlementaire se voyait battu en brèche depuis des années, ce qui explique en partie que la remise des pleins pouvoirs au Maréchal PETAIN ne fut discutée par presque personne en juin 1940. 


De fait, il était clair pour tous que la Troisième République avait bel et bien failli. Si la terrible défaite de 1940, dont l’historien Marc BLOCH fut l’analyste impitoyable dans L’étrange défaite, fut avant tout militaire, l’effondrement politique consécutif était à mettre au passif des institutions. De GAULLE, qui n’était alors que colonel, mais devenu sous-secrétaire d’Etat pendant les hostilités, était bien placé pour observer l’étendue du désastre. Paul RAYNAUD, le Président du Conseil, avait très vite perdu l’initiative. Albert LEBRUN, le Président de la République, ne disposait d’aucun des pouvoirs qui lui auraient permis de rétablir la situation. D’ailleurs, ni l’un ni l’autre n’était chef des Armées. Les généralissimes GAMELIN, puis WEYGAND, voyaient leurs prérogatives tellement délayées qu’ils en étaient réduits à l’impuissance. En d’autres termes, face à une situation d’exception, personne n’était institutionnellement armé pour agir !

 
De ce sombre constat d’impuissance naquit l’idée qui devint le cœur de la future Cinquième République : le pouvoir exécutif devait être en mesure d’agir en toute circonstance, y compris et surtout en cas de crise majeure – d’où le futur fameux article 16. Ce faisant, il s’intégrait dans le droit fil d’une réflexion portant sur la réforme des institutions, qui avait fleuri courant des années 1930. J’ignore s’il avait alors eu connaissance des conceptions du juriste Carl SCHMITT sur la souveraineté, mais certains passages de la Cinquième République laissent à penser que la pensée de Carl SCHMITT eut une certaine influence. En tout état de cause, la lutte qu’il mena durant la Seconde guerre mondiale le conforta dans une autre conviction, celle qui fait toujours primer la légitimité d’une action sur sa légalité. Le reste de sa vie politique ne fit en somme qu’illustrer cette vision du monde.

L’épreuve du feu


La France libérée du joug nazi se choisit en 1946 une Quatrième République encore plus parlementaire et instable que la précédente. Le résultat, dans un contexte de quasi-guerre civile depuis 1954 dans les départements algériens, ne se fit pas attendre. En 1958, le France était au bord du gouffre, avec un régime tout aussi incapable de réagir que son prédécesseur 18 ans plus tôt. Entretemps, le Général de GAULLE avait affiné sa pensée. Son discours de Bayeux, prononcé le 16 juin 1946, laissait bien percevoir la place qu’aurait un Président de la République dans une future Constitution : celle de la clef de voûte, disposant de pouvoirs élargis, chef des Armées, au-dessus de la mêlée des affaires courantes et garant des institutions et des intérêts fondamentaux de la Nation. 


Devant l’ampleur du désastre, le gouvernement PFLIMLIN finit par se résoudre à faire appel à de GAULLE. Ce dernier, au terme d’une série de manœuvres dont l’honnêteté oblige à reconnaître qu’elles s’appuyaient définitivement plus sur la légitimité de son personnage comme de son action que sur une franche légalité, finit par imposer le principe d’une Cinquième République dont il devint le premier Président. Le vote du 28 septembre 1958, qui lui octroya la confiance de 79% du corps électoral français, confirma que son action était soutenue par le plus grand nombre. 


Mais, ainsi qu’il le relate lui-même dans ses Mémoires d’espoir, une institution, aussi bien déterminée soit-elle, ne vaut que par la manière dont on la pratique. Et de fait, de GAULLE sut d’emblée lui conférer une vrai lustre. Sans renier le respect dû aux chambres élues (Assemblée Nationale et Sénat), ni à l’indispensable équilibre des pouvoirs sans lequel il ne saurait y avoir d’institutions démocratiques, il parvint à affirmer la prééminence de l’exécutif qu’il appelait depuis longtemps de ses vœux – et, incidemment, à extirper, non sans crimes ni douleurs il est vrai, la France du bourbier algérien. Son action était à vrai dire autant celle d’un monarque républicain (il était demeuré monarchiste de cœur toute sa vie) que celle d’un homme politique classique.

Le suffrage universel


Dans l’acception de de GAULLE, ne manquait plus qu’un élément pour que la Cinquième République devînt totalement ce qu’il souhaitait. Les compromis acceptés au moment de son arrivée au pouvoir lui avaient en effet interdit d’intégrer dans la Constitution l’élection du Président de la République au suffrage universel. La vieille conception républicaine française, hostile à tout risque de pouvoir personnel, s’y opposait en effet de manière frontale. Toutefois, au lendemain de l’attentat raté (de justesse) du Petit-Clamart le 22 août 1962, il décida de solliciter auprès du peuple français une modification de la Constitution allant dans ce sens. 


Ses arguments étaient de deux natures. Premièrement, de GAULLE était bien conscient qu’aucun de ses successeurs ne disposeraient de sa légitimité historique. Le suffrage universel pouvait par conséquent leur conférer une assise d’autant plus indiscutable. Deuxièmement, il avait parfaitement perçu, depuis la Libération, les multiples tentatives de récupération de pouvoir par les partis politiques. Il craignait que, si un lien direct ne s’établissait pas entre le peuple et le gardien des institutions, ce dernier ne redevienne l’inoffensif inaugurateur de chrysanthèmes qu’il était sous les précédentes Républiques.
Dire que l’opposition politique à son projet fut forte relève du doux euphémisme. La quasi-totalité de la classe politique  fut vent debout. Le second personnage de l’Etat, le Président du Sénat Gaston MONNERVILLE, qualifia publiquement le projet de forfaiture. Pourtant, à la stupéfaction générale, le 28 octobre 1962, le peuple français lui donna son accord par 62% des suffrages. L’intuition du Général de GAULLE concernant les convictions démocratiques profondes d’une partie de la classe politique de trouva hélas ! confirmée par la réaction de Gaston MONNERVILLE, qui, soutenu par l’ancien Président de la République Vincent AURIOL, alla jusqu’à demander au Conseil Constitutionnel (attention, accrochez vos ceintures !) de déclarer nul le vote des français !!

 
Il n’en demeura pas moins que la Cinquième Constitution avait atteint ses dimensions actuelles. Œuvre humaine et donc vivante, elle a connu encore bien des réformes depuis la mort de son fondateur en 1970, certaines sans doute nécessaires, d’autres plus critiquables. Telle est la grandeur de la tâche du corps électoral que de s’assurer que les institutions qu’il s’est données correspondent toujours à ses besoins. Car, est-il besoin de le rappeler ? demeure toujours son principe souverain, qui est le suivant : « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » (article 2). 




Bruno B. Bibliothécaire


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