La différence invisible , de MADEMOISELLE CAROLINE et Julie DACHEZ

Trois en un! Une BD intéressante et bien fichue. Une autobiographie qui vous prend aux tripes. Et l'apprentissage d'un syndrome spécifique, le syndrome d'Asperger.Se distraire en s'instruisant : on croirait le slogan des vieilles éditions Hetzel dans lesquelles écrivait Jules VERNE, mais c'est du Delcourt et ça vient de sortir!


Can't cry these tears anymore (GARBAGE, album Beautiful Garbage)

Ils sont parmi nous! Ils nous ressemblent mais ne sont en réalité pas comme nous! Ils...
Pardon? Mais non, voyons, je ne parle pas des Envahisseurs D'Un Autre Monde, mais de ceux que l'on appelle familièrement les aspies. Aspie = diminutif d'Asperger, du nom du praticien autrichien qui donna son nom au syndrome en question dans les années 40.
C'est de ce syndrome dont il est question au fil des presque 200 pages de cette BD.

Au commencement, il y avait Julie DACHEZ, une jeune femme dont la vie en ce début des années 2010 semblait normale à première vue, mais dont l'existence n'était en fait qu'une énorme stratégie d'évitement pour donner le change.
Donner le change à quoi, me demanderez-vous? Eh bien tout simplement au fait que, pour une raison qui lui échappait totalement, elle ne réagissait pas comme la plupart des gens et était en décalage social permanent, de manière rarement spectaculaire mais tout de même handicapante.
C'est à la suite d'une mésaventure de trop, comprenant bien que volonté et intelligence ne lui permettraient plus de composer avec la réalité, qu'elle entreprit de mettre le doigt  sur ce qui clochait chez elle. La différence invisible est le récit, scénarisé par Julie DACHEZ elle-même et illustré par le dessin sensible de MADEMOISELLE CAROLINE, de cette quête.


Silence is golden (idem)

Je spoile sans scrupule aucun le résultat de ses investigations : après examen, il s'est avéré que Julie DACHEZ était atteinte du syndrome Asperger, c'est-à-dire d'une forme particulière d'autisme.
Une rapide mise au point s'impose ici. A ce jour, personne au monde ne sait d'où provient l'autisme. L'hypothèse la plus probable est qu'elle est la conséquence d'une concentration neuronale inhabituelle dans certaines parties du cerveau, qui biaise le traitement de l'information.
Ce que l'on nomme « autisme » est en réalité, pour être rigoureux, un Trouble du Spectre Autistique (TSA). Les autistes lourds, avec coupure presque totale du monde et retard intellectuel, sont assez aisément dépistés. En revanche, les Asperger, qui se situent vers le haut de ce spectre, peuvent faire très longtemps illusion.

Qu'est-ce qui a pu laisser penser à Julie DACHEZ qu'elle était autiste Asperger, avant d'avoir confirmation quelques mois plus tard que son hypothèse était juste? En fait, une fois que l'on cherche dans la bonne direction, envisager un syndrome d'Asperger est relativement simple (le confirmer beaucoup moins, en revanche).
Malgré les différences considérables qu'il peut y avoir d'une personne à l'autre, les Asperger présentent tous deux traits communs : des difficultés de communication et de relations sociales ; la présence d'intérêts spécifiques souvent très spécialisés. Ce à quoi on peut ajouter une hypersensibilité sensorielle (hyperacousie le plus souvent).
Les symptômes habituels en découlent assez logiquement : prédominance de la communication écrite ; mauvaise compréhension de l'implicite social ; sensibilité au bruit et horreur de la foule ; difficulté à sortir d'une routine ; malaise devant l'inattendu ; fatigue récurrente liée aux efforts d'adaptation ; présence d'une certaine maladresse physique ; tendance à l'anxiété. Le problème étant que, la plupart des Asperger disposant d'une intelligence et de certaines capacités supérieures à la moyenne, leur repérage devient compliqué si l'on ne sait pas quoi chercher, car ils ont tendance à présenter au maximum l'attitude qu'ils pensent que l'on attend d'eux.

Parade (idem)

Question posée explicitement dans la BD : est-ce que ça se soigne? Réponse : non, car ce n'est pas une maladie! Le cadre cognitif dans lequel vit l'Asperger ne se modifiera jamais.
Tout au plus pourra-t-on adapter son environnement  personnel et professionnel en prenant en compte ses problématiques propres : besoin de calme, de régularité, d'explicitation de certains sous-entendus incompréhensibles pour lui, etc...
De son côté, la personne concernée pourra apprendre à mieux comprendre les codes sociaux, en particulier tout ce qui n'est pas explicite.

Car tel est bien le paradoxe de la plupart des Asperger, qui déboussole autant ceux qui gravitent autour d'eux : on a fréquemment affaire à des individus sérieux, pas bêtes, parfois brillants dans les domaines qui les passionnent...et tout d'un coup complètement largués par ce qui semblait pourtant relever d'une évidence totale à son interlocuteur.
Dans le cas de Julie DACHEZ, la découverte de son autisme a été une véritable libération, qui lui a permis de s'assumer et de rebondir. Elle a passé et obtenu une thèse,  donne désormais des cours à l'université et tient par ailleurs un blog, Etmoietmoietmoi, sur lequel elle a posté quelques vidéos très pédagogiques sur l'autisme.

Shut your mouth (idem)

Pour terminer, je m'autoriserai une réflexion sociétale de fond. Même si la France accuse un réel retard en matière de dépistage des autistes, il n'en demeure pas moins que leur nombre recensé s'accroît depuis quelques années. Rattrapage du retard que je viens de mentionner? Très certainement. Toutefois, on peut proposer une analyse complémentaire.
Comme le dit Julie DACHEZ dans l'introduction de la BD, il n'est pas tout à fait anodin que ce soit dans une société « malade de la normalité » comme la nôtre que les Asperger finissent par devenir un enjeu de santé publique.

Mon sentiment personnel, avec tous les contre-arguments qu'on pourra légitimement m'opposer, est le suivant. Les Asperger ont sans doute toujours été présents dans des proportions similaires à celles que nous connaissons aujourd'hui, à savoir environ une personne sur 150. Mais il m'apparaît que leur décalage de plus en plus évident avec les canons de la société actuelle en dit long...sur la société elle-même.
On peut ainsi envisager l'hypothèse qu'un individu, par exemple un laboureur ou un artisan du XVIIIème siècle, disposant d'une intelligence et de compétences tout à fait correctes, saura vivre assez bien dans une société plus posée que la nôtre. Il fréquentera un environnement  et des visages familiers, exercera consciencieusement son métier, et ses quelques bizarreries n'inquiéteront peut-être vraiment personne.
En d'autre termes, notre société, qui vante la différence jusqu'à l'écoeurement, semble bien ne l'apprécier que dans la mesure où, derrière cette différence, chacun est semblable et rentre dans un moule d'autant plus rigide que nul ne le revendique explicitement. Etrange époque en vérité, qui semble générer à loisir des pseudo-inadaptés qui n'auraient peut-être jamais été considérés comme tels dans d'autres contextes.

La richesse de leur vocabulaire, leurs excellentes performances dans des domaines bien spécifiques, leur promptitude à engager la conversation, leur fantaisie trompent. Car derrière la façade d'une connaissance encyclopédique et une éloquence charmante se trouve un individu en souffrance pour qui le monde est un spectacle désordonné et incompréhensible. 


Le psychologue Peter VERMEULEN, cité sur la page « Asperger » de l'encyclopédie Wikipédia


Bruno B., Bibliothécaire 

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