John CARPENTER musicien

Il y a des gens, comme ça, qui ont vraiment tous les talents.
Non content d’être un des plus grands réalisateurs américains en activité de ces dernières décennies, John CARPENTER est de surcroît un musicien talentueux ayant composé le score de la plupart de ses films. Cet aspect-là du bonhomme ayant tendance à être moins connu, c’est précisément certains de ses albums que nous allons présenter aujourd’hui !


Assault on Precinct 13


Assault on Precinct 13 fut en 1976 le premier vrai film de John CARPENTER. Un thriller urbain (et western à peine déguisé) au budget riquiqui dans lequel il sut d’emblée trouver ses marques, avec un style sec et rugueux, élégant et sans fioritures. 

Sa musique est à l’avenant, d’une simplicité à tomber par terre : quelques notes de synthétiseur égrenant un thème lancinant, une ligne mélodique minimaliste qui exhale pourtant une angoisse presque palpable, une horreur quasiment métaphysique. 


Dès le début du film : un simple fond noir, un générique d’une sobriété exemplaire qui défile, et plusieurs minutes durant, un score au synthé qui vous attrape par les tripes et ne vous lâche plus. Tout l’art de John CARPENTER est résumé dans ces quelques notes, atteignant d’emblée une efficacité maximale - la grande classe d’un maître qui n’a pas encore 30 ans, déjà en pleine possession de ses moyens, et qui boucle la bande originale du film en trois jours à peine, un exploit.

Ghosts of Mars


25 ans après Assaut on Precinct 13, le budget est presque aussi riquiqui pour ce film d’action SF rentre-dedans, adoré des « carpenterophiles » patentés, et…euh…disons dédaigné par tous les autres !!

Quoi que l’on puisse penser du film (étant entendu que tous ceux qui ne l’aiment pas mériteraient évidemment de se prendre une hache martienne dans les gencives, mais ce n’est pas le sujet du jour, vous avez raison !), la BO fait en général l’unanimité. Cet album couple en effet les qualités de concision de la plupart de ses réalisations les plus brillantes (Assault , Halloween, Escape from New York, Vampires…) avec, une fois n’est pas coutume, une ambiance musicale très heavy metal


C’est en effet à du « gros son » qu’on a affaire. Le générique est à cet égard trompeur. Un accord qui vous happe et vous fait frapper du pied sur le sol dès les première images, mais qui demeure assez classique lorsqu’on est familiarisé avec l’œuvre du monsieur.

Mais après ! C’est un vrai défilé de déflagrations atomiques vomies par un concert de guitares électriques déchaînées, menées par un Big John qui a manifestement décidé à tout faire péter pour l’occasion, et qui le fait très bien ! 

D’autant que, en esthète accompli, il ménage de faux temps de repos.
Ainsi, le thème Dismemberment Blues (tout un programme !) débute-t-il sur une mélodie douce et envoûtante, avant de dégénérer en un ouragan sonore à faire fuir en troupeau les fans de Wagner à Bayreuth. Un très grand moment, dans un album qui ne comporte quasiment que des grands moments.

Lost themes 1 et 2


Supportant de moins en moins la fatigue des tournages, John CARPENTER s’est progressivement pris du recul vis-à-vis du monde du cinéma afin de se consacrer pleinement à la musique dans les années 2010. 

Il a ainsi travaillé pour d’autres : si vous regardez la liste des artistes figurant dans le dernier album de Jean-Michel JARRE, vous verrez apparaître son nom. Mais une bonne part de son travail de ces dernières années a tourné autour de ses deux albums solo, Lost themes 1 et 2.


Pour la première fois de sa vie, il s’est ingénié à créer des albums autonomes, tout à fait distincts d’un support extérieur filmique. L’enjeu étant pour lui de travailler sur du matériau musical pur. Autant le dire tout net : si ces albums sont un peu déconcertants pour ceux qui étaient familiers avec son style habituel, c’est aussi et avant tout une franche réussite !


Composés de concert avec plusieurs membres de la famille Carpenter, on sent d’emblée que ce sont des albums fait pour le plaisir et composés avec plaisir. Les 21 plages des 2 albums sont littéralement imprégnées d’un plaisir de jouer communicatif. 


D’inspiration lovecraftienne pour la plupart, les thèmes musicaux développés sont profondément atmosphériques, distillant une ambiance qui alterne angoisse et mélancolie, dans des boucles lancinantes qui ont sur vous un effet presque hypnotique.


Le deuxième album en particulier présente de vraies pépites : je soutiens ainsi que celui qui ne ressent rien en écoutant le bouleversant Windy Death est probablement insensible, sourd et mort. 


Il illustre le fait que John CARPENTER a la capacité rare, quel que soit le medium choisi, de mettre dans le mille sans retenue, sans fausse pudeur, sans circonvolutions. D’aller directement au principal et de faire vibrer en vous certaines émotions dont vous ignoriez parfois jusqu’à l’existence. 


Permettez-moi un souvenir personnel. Il y a plus de 20 ans de cela, jeune gars à peine sorti du lycée, j’étais allé voir un de ses films au cinéma. Une séance de midi, en plein été, pas un chat dans la salle, et à peine plus de monde dehors, pour aller voir un film dont je n’attendais pas trop grand-chose, réalisé par un John CARPENTER dont je connaissais alors à peine le nom. Je suis sorti de la salle 2 heures plus tard, figure hâve au milieu d’un soleil resplendissant dont j’étais à peine conscient. Peut-être avez-vous eu la chance ou le tourment de connaître un tel moment : celui où d’un seul coup votre champ visuel s’élargit, où vous comprenez, au seuil de la vie adulte, que quelque chose d’autre existe que vous ignoriez totalement jusqu’à ce moment. C’est ce qui s’appelle, je suppose, un choc esthétique, de celui qui vous fait réfléchir sur vous-même et sur votre vision du monde. 


Seuls les plus grands artistes, parvenus au sommet de leur art, y arrivent. Parfois. 


John CARPENTER en fait partie.  





Bruno B.

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